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Mœurs des Mondurucus. — Singulière cérémonie. — Leurs idées sur la mort. — Les devins. — Préparation du poison curare. — Chasse à la sarbacane.

Décidément j’étais malade. Puisqu’enfin il fallait laisser là mes os ou partir, je profitai du brave João pour avoir quelques détails sur les mœurs des Mondurucus en général, sachant bien qu’elles avaient déjà subi de grandes modifications.

Un jour je m’étais traîné près d’une case d’où j’entendais sortir de petits cris de douleur ; mais on m’avait prié poliment de m’éloigner. J’étais fort curieux de savoir ce qui se passait là, et j’appris de João que dans cette case d’où partaient les cris, ou avait construit tout au milieu une cage en bois dans laquelle était enfermée une jeune fille. La cérémonie avait pour objet de marquer son passage de l’adolescence à la jeunesse. Chaque membre de la tribu, après s’être enduit les doigts d’une espèce de glu, lui arrachait quelques cheveux.

Un usage des Indiens Mondurucus.

João me dit aussi que parmi les Mondurucus qui n’ont point encore été instruits dans la religion catholique — quant à lui il avait le bonheur de l’être — il avait toujours vu avec horreur des usages que le temps n’avait pas encore détruits. Par exemple, ils pensent que Dieu, le soleil ou un être suprême, après avoir donné la vie serait injuste de l’ôter ; en conséquence, quand un homme meurt, ce ne peut être que par le fait d’un ennemi. La famille se rend chez celui qui joue le rôle de prêtre, de docteur, de devin, c’est le piaye ou pagé. Il fait des exorcismes pour évoquer le Grand Esprit, et finit par désigner, à son choix probablement, la victime qui tombera, n’importe comment, pour venger un mort qu’elle n’aura pas fait et qui peut-être était son ami. Mais le piaye a parlé, il faut obéir. On peut juger de l’importance qu’un pareil homme prend dans une tribu dont chaque membre voit sa vie menacée pour peu qu’il déplaise à ce pourvoyeur de la mort. Le chef même n’est pas exempt de la loi commune. Cette manie de venger un mort en retranchant de la tribu un autre membre, peut-ètre bien innocent, m’expliquait pourquoi sur une si grande étendue de terrain on trouvait si peu d’habitants.

On avait fait peu de jours auparavant la provision de curare (curarayai) ; j’étais arrivé trop tard. L’ami João me fit présent d’une petite panella remplie à moitié de ce poison, et me raconta comment on le prépare.

Dans toutes les cérémonies, les vieilles femmes jouent le premier rôle. J’ignore si c’est pour leur faire honneur. Je les avais vues danser devant saint Benoît[1] ; ici c’était bien plus important, elles étaient chargées du soin de fabriquer le curare ; leur vie était condamnée ; elles devaient mourir.

Un jour toute la tribu s’assemble ; on entasse autour du foyer des amas de branches et de feuilles sèches ; une vieille, ou deux, ou trois, doivent allumer le feu et l’entretenir pendant trois jours. Deux perches liées ensemble par le haut sont fichées en terre, et du sommet pend,

  1. Voy. page 36.