Page:Le Tour du monde - 04.djvu/394

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en plongeant dans le fleuve. Au cri que je poussai en revenant sur l’eau, les Indiens arrêtèrent le canot et me tendirent la main. Polycarpe ne s’était pas éveillé, ou s’il l’était, je ne m’en suis pas aperçu.

Un plongeon involontaire.

Le lendemain nous montâmes dans un défrichement récent, mais déjà planté en cacao et en manioc. Plusieurs bananiers portaient des régimes, que je me promis bien d’acheter et surtout de conserver.

Une femme d’origine portugaise, mais tout aussi noire qu’une Indienne, vint à ma rencontre. Je la saluai profondément en lui disant : Minha Branca (ma blanche). Les bananes avaient fait de moi un vil flatteur. Effectivement l’affaire s’arrangea vite, et de plus je fis l’emplette d’une poule bien maigre, que l’on me fit cuire immédiatement au sommet d’une perche ; et comme je jouissais cette fois de quelques litres de vin, j’allai m’installer sous mon toit, pour tâcher de me donner des forces, ce dont j’avais bien besoin.

J’ignorais le nom du nouveau fleuve sur lequel nous naviguions. Nous avions trouvé plusieurs embranchements, et il fallut me contenter de ce que me dit Polycarpe, que nous étions sur le fleuve Ramos, ce qui était possible, car le matin ou nous avions dépassé Maöes j’avais cru voir que le Madeïra se dirigeait entre des îles, tandis que nous avions pris une autre direction en descendant.

Nous passâmes devant la bouche de la rivière d’Andeira, qui se jette dans le Ramo, et peu après dans l’Amazone, au-dessous de Villabella. Là, si je le voulais, mes fatigues étaient finies ; je n’aurais eu qu’à monter à bord d’un vapeur, et en huit jours j’aurais été de retour au Pará. Mais je me sentais un peu plus fort, je voulais encore tenter la fortune, et naviguer de nouveau sur l’Amazone jusqu’à Santarem, ayant le projet de remonter, si c’était possible, le fleuve Tapájos, ou tout au moins jusqu’à Obidos.


Les perfidies de Polycarpe. — Un accès de colère. — Remords. — Excursion en montant à la Fréguesia. — Fuite de Polycarpe. — Un orage. — Retour à Pará.

Ainsi qu’il avait été convenu, je laissai à Villabella les deux Maöes ; je les payai, comme je l’aurais fait aux fuyards, un pataque par jour ; ils reçurent ce que je leur donnai sans rien dire, firent demi-tour, et je ne les vis bientôt plus.

Là j’eus encore plus de peine pour avoir des rameurs ; on me renvoya à un prêtre ; celui-ci à un vendeur portugais, qui me renvoya à son tour au subdélégué ; le subdélégué s’entendit avec le promoteur, et l’on me promit non-seulement deux hommes, mais un garde jusqu’à Obidos. Ils devaient revenir par le vapeur, bien entendu en payant leur passage.

Comme il y avait plusieurs hamacs dans la maison du promoteur, je passai la nuit dans l’un, et le lendemain on me présenta un Indien Maöes nommé Miguel, en attendant l’autre qui ne pouvait venir que l’après-midi ; quant au garde, il était tout prêt.

Polycarpe m’attendait toujours en gardant le canot.