Page:Le Tour du monde - 04.djvu/396

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sincèrement aux Indiens fuyards, même au garde Zephirino, les mauvais tours qu’il m’avait joués. Décidément l’organe du meurtre doit être peu développé chez moi, car après cet événement, qui n’avait pourtant pas été le fait de ma volonté, mais d’une impulsion fatale, je me sentais trembler quand je regardais le résultat de cette colère instantanée.

Un accès de colère.

Cependant cette sensibilité ne conduisait à rien. Il fallait prendre un parti. J’envoyai les deux hommes demander à la case, que je supposais à quelques pas selon l’usage, la permission de prendre une des montaries pour continuer mon voyage avec l’un d’eux. Comme Polycarpe avait autant de raisons que moi de revenir au Pará, et que d’ailleurs, en dehors de cette haine qu’il m’avait vouée depuis le premier jour et dont j’avais vu quelques effets, il ne m’avait pas volé, je décidai que je lui laisserais la garde du grand canot plutôt qu’à l’autre Indien, que je ne connaissais que depuis deux ou trois jours. Polycarpe et Miguel allèrent donc demander à une case éloignée l’autorisation dont nous avions besoin. Ils demeurèrent absents plusieurs heures, et j’eus le soupçon qu’ils tramaient quelque mauvais dessein. Cependant ils revinrent.

Polycarpe détacha une montarie ; il y plaça mon carnier, mon plomb et ma poudre.

Il fut entendu, avant mon départ avec Miguel, que Polycarpe ne quitterait pas le canot d’un seul instant. Il se pouvait-que nous fussions de retour avant la nuit : aucun de nous ne savait le temps qu’il fallait mettre pour arriver au lac et à la Fréguesia, but de mon voyage.

Nous étions partis depuis quelques instants, quand Polycarpe m’appela ; il me montrait de loin mon fusil, que j’avais oublié. Cette attention seule m’eût donné de la confiance, et je partis cette fois complétement rassuré.

Rien n’annonçait ce passage étroit qui avait nécessité un autre canot. Je ne fus pas longtemps à comprendre que la haine du travail avait seule inspiré Polycarpe : ce n’était pas un passage étroit qu’il avait redouté pour le canot, mais la nécessité d’aider Miguel à pagayer dans le mien. Je me repentis alors d’avoir été dupe d’une ruse si grossière ; je me promis de ne pas m’y laisser reprendre au retour de ma petite campagne, et de le faire tout de bon travailler, puisque je le payais trois fois autant que le bon Miguel, qui faisait l’ouvrage de deux hommes, sans se plaindre.

Une fois ce parti pris et le souvenir de ce qui s’était passé complétement effacé, je me mis sérieusement à mon métier de chasseur. Je tuai de nouveau un bel aigle noir à tête blanche, un très-joli canard ipiqui et trois oiseaux d’eau nommés peusonha.

Plus nous avancions, plus le fleuve s’élargissait ; et pour la première fois depuis mon séjour dans le sud, je retrouvais tout de bon des montagnes élevées, avec leurs arbres en amphithéâtre. Ceux qui se trouvaient le plus près de l’eau étaient couverts de détritus de toute sorte. Il me semblait quelquefois voir des villages tout entiers, dont les toits étaient couverts en paille, ou des meules de