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les armoiries du Danemark. Ils m’ont, je crois, menacé de leurs griffes, ces terribles emblèmes des trois grands détroits que j’ai traversés si souvent. J’ai connu de près le petit Belt, et le grand Belt, et le Sund. J’ai entendu leurs rugissements, j’ai vu leur écume, et j’ai senti au visage les frémissements de leurs crinières ruisselantes de lumière et d’eau.

Frédériksberg mérite cependant d’être admiré après Rosenborg, non pas à cause du château qui néanmoins est agréable, mais à cause des jardins, dont les sentiers et les canaux courent le long des pelouses fuyantes sous les grands arbres.

Là j’ai recueilli l’impression de Frédéric VI, une impression toute chaude, malgré la mort. C’est dans ces allées et sur ces eaux que le fils de Mathilde communiquait avec le peuple dont il était adoré et se promenait au milieu de la foule attendrie.

La mère de Frédéric, Caroline-Mathilde, avait habité ce château, ce qui le rendait cher au roi. La pierre à deux degrés sur laquelle, aidée de Struensée, Mathilde montait pour enjamber son cheval, à la manière d’un homme, cette pierre est encore là. Frédéric VI, un jour, versa des larmes en la regardant. Il ordonna d’en avoir soin, de la réparer, et de ne jamais la déplacer.

J’avoue que je me suis senti un penchant pour ce roi. Son caractère m’intéresse et ses malheurs précoces me touchent.

Bourse de Copenhague. — Dessin de Thérond.

Frédéric VI était d’un aspect très-élégant. Il avait les yeux scrutateurs, le nez aquilin, la bouche franche, l’air brusque et bizarre. Ses reparties étaient imprévues. Au congrès de Vienne, l’empereur Alexandre, se félicitant de la sainte alliance des rois, disait avec une fatuité de czar et de pape :

« On a gagné tous les cœurs.

— Peut-être, répondit Frédéric VI, mais on n’a pas gagne une âme. »

Ce prince était bien un prince du Nord, un prince de Danemark. Il avait des habitudes familières et des goûts d’indépendance. Il était très-blond, délicat, frêle et rêveur. C’était un Hamlet de la réalité. On ne lui avait pas tué son père, mais on avait déshonoré, exilé sa mère, qu’on usa vite par la persécution et qu’on réduisit au désespoir. Frédéric, environné dans sa maison des ennemis de sa maison, dissimula longtemps, comme Hamlet, et, comme Hamlet, il eut son heure de vengeance. Seulement, il préserva son cerveau de la folie et ses mains ne furent point tachées de sang.

Tous les hivers, le bon Frédéric VI habitait Amalienborg ; tous les étés, il habitait Frédériksberg. J’ai erré sur ses traces avec curiosité et avec intérêt. Un autre charme me retenait aussi à Frédériksberg : c’est la ter-