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que les marchandises sont exposées en vente sur les radeaux ; la population y est sans cesse en mouvement sur les eaux, car toutes les communications ont lieu sur la rivière ; les choses nécessaires à la vie s’achètent sur les marchés flottants, et les affaires commerciales se font sur l’élément liquide ; c’est enfin, dans toute l’acception du terme, une ville flottante, ou l’on ne trouve ni voitures ni chevaux ; les seuls animaux qu’on y élève sont des cochons, des chèvres, des oies, des canards et des poules. Les habitations des employés européens, les bâtiments et les forts du gouvernement sont construits partie en pierres, partie en troncs d’arbres ; pour les palissades, dont les fortifications sont entourées, l’on se sert des troncs du palmier nibong ; les toitures des édifices sont couvertes en tuiles, les autres maisons le sont en atap, ou feuilles du palmier nipa. Le fort Tatas comprend l’habitation du résident, les magasins et les casernes ; des fortins sont établis à Marabahan, à Taboeniano et vers la pointe méridionale de Bornéo, où se trouve le fort de Tuyll.

C’est de cette résidence que nous allons nous diriger vers l’intérieur de l’île avec le docteur Schwaner.




VOYAGE SUR LA RIVIÈRE KAHAYAN,

PAR LE Dr C. A. L. M. SCHWANER[1].
TRADUCTION INÉDITE.


I
Traversée du delta entre Banjermasing et le Kahayan. — Aspect du fleuve et de ses bords. — Légende de l’éléphant et du porc-épic.

Le 31 octobre 1847, je quittai Palingkau avec le tomonggong (chef), Djaja-Negara, qui m’avait spontanément offert de m’accompagner. Nous avions vingt Dayaks de Poulou-Petak pour ramer sur nos deux barques pendant tout le voyage. Nous descendîmes le Mouroung, jusqu’au confluent du Troussan, ou nous arrivâmes le 1er novembre. Sur la rive gauche de cette rivière est situé le kampong (hameau) de Papallas : ou n’y voit que cinq misérables huttes qui témoignent de l’indifférence des habitants de cette triste contrée pour les logements tolérables. Petites et basses, elles sont perchées sur des poteaux minces et chancelants, de dix pieds de haut.

Le Troussan, sorte de canal naturel entre les fleuves Mouroung et Kahayan, traverse de vastes marécages d’où coulent une multitude de ruisseaux qui sont pour la plupart reliés entre eux par des tranchées et lui apportent leurs eaux noires. À peu de distance, à l’ouest de Papallas, le Troussan se divise en deux branches ; celle du nord est la plus ancienne ; celle du sud a été creusée par la main de l’homme, après que l’autre, obstruée par le limon et des troncs d’arbres, fut devenue impraticable aux navigateurs. À son embouchure orientale, le fleuve a soixante-dix pieds de large ; mais à mesure qu’on avance vers l’ouest, il devient plus étroit, moins profond et d’une navigation plus difficile, par suite de l’abondance des plantes aquatiques ; les plus petites embarcations touchent le fond, lors du reflux, et surtout pendant la mousson orientale ; il faut souvent attendre le flux pour continuer le voyage vers le Kahayan. Il serait à souhaiter qu’on élargit et creusât ce canal : on serait aidé dans cette entreprise par le courant lui-même. Cette contrée marécageuse n’est propre qu’à la culture du riz.

Le 2 novembre, vers midi, nous atteignîmes le Kahayan. Près du confluent, sur la rive nord du Troussan, s’élèvent, à l’ombre de quelques palmiers, deux petites maisons où les voyageurs déposent en passant des offrandes de riz, de tabac et des morceaux d’assiettes cassées, pour apaiser les mauvais esprits. Les bords du fleuve sont élevés, et le pays voisin est à l’abri des inondations ; mais l’intérieur des terres est plus bas et presque entièrement couvert de marais.

Nous rencontrâmes quelques familles de Niadjous ou Biadjous qui chassaient aux buffles sauvages. Ils avaient dépouillé de ses arbres et de ses broussailles une grande étendue de bois, qu’ils avaient ensuite entourée de palissades, en y laissant de larges ouvertures. Au milieu de la

  1. Traduit du livre intitulé : Bornéo : beschrijving van het stromgebied van den Barito, en reizen langs eenige voorname rivieren van het zuidoosteliijk gedeelte van det eiland. Bornéo : description du bassin du Barito, et voyages le long de quelques-unes des principales rivières de la partie sud-est de l’île, par le Dr C. A. L. M. Schwaner ; voyages faits pour le gouvernement des Indes néerlandaises, de 1843 à 1847. Amsterdam, 1854, chez P. N. Van Kampen. 2 vol. in-8, avec cartes et planches ; édité après la mort de l’auteur, par le professeur J. Pijnappel, aux frais de l’Institut royal pour la connaissance des langues, des pays et des habitants de l’Inde néerlandaise.

    Le docteur Schwaner, qui le premier fit par terre le voyage de Banjermasing à Pontianak, était né à Mannheim en 1817. Après avoir étudié en Allemagne et s’être mis en relations avec le Muséum de Leyde, il fut nommé membre du comité d’histoire naturelle de l’Inde néerlandaise et partit la même année pour Java. Le gouvernement colonial l’ayant chargé d’aller étudier l’histoire naturelle de Bornéo, il passa dans cette île en 1843, et y resta jusqu’en 1848, où il retourna à Batavia. Après avoir adressé aux autorités un rapport sur ses explorations scientifiques, il fut, en 1850, chargé d’une nouvelle mission dans la partie sud-est de Bornéo, et il était sur le point de s’y rendre, lorsqu’il mourut à Batavia le 30 mars 1850.

    (Note du traducteur.)