Page:Le Tour du monde - 05.djvu/171

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réputé incorruptible comme le cèdre. Ces momies sont faciles à éventrer, mais ne renferment rien.

J’ai pu me convaincre là que l’embaumement si fameux des Égyptiens ne préservait pas entièrement les corps de l’invasion des vers. J’ai vu des gorges de crocodiles percées comme un vieux bois ; j’ai trouvé en grand nombre, pareilles à celles des chenilles, des écorces de vers desséchés, vides, noirs, et momifiés à leur tour. Les procédés d’embaumement étant les mêmes pour tous les êtres, on peut en conclure que les vers faisaient aussi leur pâture des momies humaines.

C’est quelque chose de fantastique que ces vivants accroupis sur des monceaux de cadavres éclairés par la lumière d’un fanal et de bougies. Je n’étais pas sans quelque inquiétude du côté de ces dernières que le guide tenait nues à la main. Lorsqu’il se penchait pour fouiller et renverser des momies, il approchait sa lumière des feuilles desséchées des palmiers et des bandelettes imprégnées de bitume qu’une étincelle pouvait enflammer en un instant.

Entrée des grottes de Semoun. — Dessin de Karl Girardet d’après M. Georges.

Le feu prit un jour dans ces grottes ; c’était bien avant la naissance de notre guide. Il y fut mis imprudemment, disent les uns, par un Anglais ou un Américain. Suivant notre guide, ce fut par quatre Arabes qui si étaient aventurés là pour ramasser des fientes de chauves-souris, engrais énergique. Égarés peut-être, ils étaient allés loin, plus loin que ne vont ordinairement les chauves-souris, dans ces quartiers de bandelettes amoncelées où nous nous trouvions. Ils n’avaient que des mèches à huile brûlant à nu dans des lampes. Le feu envahit tout le souterrain autour d’eux, et on ne les revit plus. Combien de temps l’incendie dura-t-il ? les uns disent trois ans, d’autres un an. Quoi qu’il en soit, la conflagration souterraine dura longtemps, manifestant son action par des bouffées de fumée qui s’échappaient des fissures, comme sur les terrains volcaniques. De longtemps on n’osa y retourner. Un embrasement aussi long aurait dû laisser des traces non équivoques, et cependant je n’ai rien vu de caractéristique ; mais, concentré là, il avait sans doute une lente énergie d’anéantissement tel que la combustion dévora tout. On ne voit pas nettement, en tout cas, où le feu a consumé et où il a cessé ses ravages. La noirceur continue des parois s’explique aisément par les exhalaisons bitumineuses des corps momifiés. Évidemment l’incendie avait eu lieu dans la partie que nous avions parcourue ; mais comment s’arrêta-t-il ? Ce ne fut certes pas faute d’aliments. Ce qui est hors de doute, pourtant, c’est le fait même de l’incendie ; il est très-connu dans le pays, et beaucoup de gens encore vivants l’ont vu. Il est à présumer qu’autrefois surtout ces accidents n’étaient pas rares. On en a entouré quelques-uns de circonstances étranges.