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Weltenbourg, au delà de la forteresse bavaroise d’Ingolstadt, je n’aurais trouvé que des rives aplaties, laissant errer vaguement le regard sur une plaine monotone, ou qui relevées de quelques pieds au-dessus des eaux l’arrêtent soudain, sans le dédommagement de promontoires aux formes hardies qui s’avancent dans le fleuve, de ravines qui les creusent, de forêts qui en descendent et où la lumière et la vie circulent.

Je me décidai à lui faire infidélité pour Munich, sauf à revenir le prendre à Ratisbonne, ce qui me donnait l’avantage de traverser la Bavière, dans deux directions différentes, et d’apprendre peut-être pourquoi un duché s’est maintenu là durant des siècles et s’y est changé en royaume.

Le chemin de fer ouvert en 1854 conduit en moins de quatre heures d’Ulm à Munich, et Augsbourg est tout juste à moitié chemin ; j’y montai. Quand le convoi nous eut amenés sur la rive droite du fleuve, nous eûmes une belle vue de la place où le soleil, déjà à son déclin, jetait sur les édifices, la ligne des défenses, la Wilhelmsburg et le Michelsberg, ces teintes chaudes qui, durant l’été, font des dernières heures du jour les plus belles à voir, comme elles sont les plus douces à vivre. Nous longeons le Danube qui, en bon voisin, a cédé au chemin de fer une partie de son lit. Comme il n’a jamais ici d’allures emportées, parce qu’il n’a pas encore reçu de rivière torrentueuse venue de hautes montagnes, on n’a pas craint, pour la voie ferrée, d’incartade de sa part : les déblais faits plus loin ont servi à remblayer sa rive et à discipliner son humeur doucement vagabonde.

L’hôtel de ville d’Ulm (voy. p. 214).

Jusqu’à Gunzbourg nous traversons une forêt dont les Bavarois vantent les charmes ; laissons-les dire. À Offingen nous quittons les environs du fleuve et nous entrons dans une plaine tourbeuse et triste, par deux ou trois de ces abominables tranchées de vingt à trente mètres de profondeur qui n’ont d’attrait que pour les géologues. La nuit descend sur cette solitude et je ne me plains pas du voile qu’elle y jette. Gustave-Adolphe, entrant à Munich après avoir traversé ces landes froides et stériles, disait de la ville charmante bâtie dans ce froid désert : « C’est une selle d’or sur un cheval maigre. »

De nombreuses lumières qui pointent dans la brume et la nuit, nous annoncent Augsbourg que les Romains ont fondé au confluent de la Wertach et du Lech, au centre de la grande place bavaroise qu’elle commande, comme Ratisbonne et Passau, qu’ils avaient bâties plus loin, au nord, dominaient le Danube moyen. La place était bien choisie, assez loin des Barbares pour n’avoir pas trop à les craindre ; assez près de l’Italie pour être en relations faciles avec elle, enfin, au milieu d’un dédale de ruisseaux et de rivières, ce qui en fit une forteresse inabordable pour l’ennemi, en même temps qu’un refuge assuré pour le travail. Aussi la ville prospéra : elle eut des évêques souverains, qui tinrent tête plus d’une fois aux ducs de Bavière, et une bourgeoisie industrieuse et riche qui compta des rois parmi ses débiteurs, et voulut compter les Amazones parmi ses aïeux ; elle fut une cité puissante qui, à l’entrée des empereurs, mettait trois cents cloches en branle, faisait tonner l’artillerie de ses remparts et flotter