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que les chambranles, les contre-forts, les chaînes, les corniches, les statues, colonnes et moulures de tout genre, sont en pierre, et blanchis au lait de chaux. De ce débordement d’excentricité, il résulte un ensemble qui plaît à l’œil et où l’on découvre de grandes hardiesses d’imagination et des beautés de détail réelles.

Le palais du gouvernement occupe le côté oriental de la place d’Armes, c’est-à-dire deux cents mètres environ de façade. Il renferme, outre le logement du chef de État, les archives, les ministères, une prison, une caserne, la monnaie, etc.

Au sud de la place est située la Casa de Cabildo ou municipalité ; à l’ouest, les Portales de Mercaderes, sous lesquels se trouvent quelques cafés et restaurants et les plus beaux magasins de la capitale.

Cette place ainsi entourée est fort belle ; elle est en outre fort animée : soldats, prêtres, moines, mendiants, leperos, femmes de toutes conditions, cavaliers, voitures, charrettes, animaux de charge s’y croisent sans cesse ; des musiciens ambulants, harpistes et guitareros, parcourent les cafés et glorietãs. Sur la place même s’établissent des marchandes d’aguas frescas et de helados, de rafraîchissements et de glaces. Sur un tréteau garni de fleurs et de branches de verdure, recouvert d’un linge blanc, sont rangés des verres gigantesques, pleins de boissons teintées de bleu ou de rouge, et recouverts de calebasses aux vives couleurs.


Pordioseros et Presidarios. — Le sereno. — Chapultepec. — Les marchés de Mexico. — L’aguador.

Mexico est sans contredit la plus belle ville de la république. Les maisons ont en général deux étages, mais elles sont taillées en plein drap, et dans chaque étage un propriétaire parisien en trouverait deux, dans chaque pièce un appartement complet. Elles sont peintes de couleurs souvent assez crues ; le jaune m’a paru très en faveur. Les encadrements sont blancs invariablement. Les toits sont des azoteas, et la galerie qui couronne l’entablement est le plus souvent crénelée ou festonnée. Des gouttières en pierre, véritables gargouilles du moyen âge, allongent leur museau effilé au-dessus des corniches. De belles serrureries ouvrées ornent les balcons et les fenêtres des rez-de-chaussée.

Les rues sont bien pavées, bordées de trottoirs, percées à angles droits. Une population bizarrement mélangée s’y succède sans interruption, bien que sans tumulte. Suivant un dicton qui avait cours à Paris, il y a quelques cent ans, on ne pouvait s’arrêter un quart d’heure sur le Pont-Neuf sans voir passer un cheval blanc, un soldat, un moine et une jeune fille ; on peut en dire autant de chaque coin de rue à Mexico ; il faut y ajouter les pordioseros. Le pordiosero est le mendiant ; l’habitude de demander au nom de Dieu, por Dios, lui a valu ce nom que l’usage a consacré. Une des choses qui donna à Cortez une haute idée de la civilisation astèque à son arrivée à Mexico, ce fut le nombre des mendiants : il y en avait autant, dit-il, qu’en aucun pays civilisé. Cette observation était de bonne logique chez un homme qui ne pouvait pas concevoir la société autrement que divisée en clergé, noblesse et tiers état, et qui comprenait cependant que, pour qu’il y eût des gens très-riches avec une pareille organisation, il fallait qu’il y en eût de très-pauvres. Si Cortez revenait, il jugerait très-favorablement du développement moral du Mexique, en voyant la quantité de pordioseros de la capitale, sauf à aller rectifier ses idées aux États-Unis.

Jamais les Cours des miracles n’ont vu, je crois, de types plus vigoureusement accentués, plus sévères et plus navrants que ceux de quelques mendiants de Mexico, demi-nus sous des lambeaux de guenilles. L’opinion publique, dans les pays chauds, n’a pas de ces pudeurs qui s’effarouchent devant un torse nu, et, sans descendre jusqu’aux mendiants, il n’est pas rare de rencontrer un marchand de vieux oints portant sur sa tête sa dégoûtante marchandise, et n’ayant d’autre vêtement qu’un petit caleçon de cuir.

Parmi les figures attristantes de la scène mexicaine, il faut mentionner les presidarios ou galériens que l’on emploie au balayage des rues et promenades, et même à certains travaux de terrassements, nettoyage d’égouts, etc. Ils vont enchaînés deux à deux et escortés d’un piquet d’infanterie ; les soldats se montrent fort tolérants envers eux, du reste, et les laissent assez volontiers s’échapper, s’ils peuvent le faire sans trop se compromettre. J’assistai cependant un matin, au paseo de Bucareli, à un drame de ce genre qui eut un dénoûment tragique ; le fugitif reçut un coup de baïonnette dans les reins qui l’étendit roide mort. Peut-être était-ce une vengeance particulière.

Ce mélange de tolérance et d’arbitraire se retrouve dans toutes les branches de la police, qui est très-mal faite à Mexico ; au fond de tout cela, on démêle facilement une sorte de solidarité entre les agents et les bandits, un besoin de se ménager réciproquement. Le sereno, qui s’avance gravement le soir avec sa vieille capote bleue à petit collet, à parements et col jaunes, ainsi que la bande de son pantalon et le galon de son chapeau, armé de sa lanterne, de son porte-voix, de son coupe-chou, un sifflet pendu à son cou, est très-disposé à tourner le dos à tous les bruits suspects qu’il pourra entendre.

Je parcourus successivement, dans mon incognito, tous les quartiers de la capitale, je vis ses soixante églises et ses quarante couvents ; je n’entrai pas dans tous ces édifices, bien entendu, mais quand on a vu le grand San-Francisco avec ses cinq églises, la Cathédrale, le Sagrario, les églises du couvent de femmes de l’Encarnacion et de la maison jésuite de la Profesa, on peut se contenter de jeter un coup d’œil en passant sur les autres.

Cette tournée faite, je montai à cheval un jour dans l’intention de visiter les environs de la ville.

En sortant de Mexico par la garita de San-Cosme, après avoir franchi l’acequia del salto de Alvarado, au point où, dit-on, le blond capitaine de Cortez franchit, à la grande admiration des Astèques, la coupure alors