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beau temps du monde, ce qu’il est presque inutile de mentionner puisque ce beau temps dure en Californie six mois consécutifs.

De la route élevée que nous parcourions, tout le bassin de la Merced apparaissait au-dessous de nous, et sur nos têtes surplombaient les cimes arrondies ou anguleuses des montagnes. Deux fois nous traversâmes des terres défrichées, où nous vîmes des vergers chargés de fruits, qui excitèrent notre envie. Mais sur presque tous les points où nous passâmes, le sol encore vierge ne nous présentait qu’une végétation naturelle. Cette végétation, réduite à des bruyères parsemées de pins et de chênes, devenait tout à coup luxuriante, si un filet d’eau humectait le terrain. Alors la vigne sauvage mariait ses rameaux avec le tronc des chênes, des aubépines mêlaient leurs grappes rouges aux grappes noires des ceps, et partout un fourré épais, où chantaient et s’ébattaient les oiseaux, était un présage certain de la fertilité et du riant aspect du sol en Californie quand il est arrosé.

Sur la route que nous suivions se présentèrent bientôt quelques cottages, quelques prairies fermées de haies : il était évident que nous approchions d’un centre habité. Nous étions en effet à Don-Pedro’s-Bar, dont les jardins se montraient à nous et dont le mineur chilien don Pedro, son fondateur, n’avait sans doute point prévu la future prospérité.

La ville nous apparut, gracieusement située sur la rivière Stanislaüs. Cette rivière, dont de nombreuses compagnies de Chinois, profitant des basses eaux, lavaient alors les sables, se jette comme la Merced dans le fleuve San Joaquin. Je mis pied à terre, et j’allai sur les bords du Stanislaüs jouir du spectacle qui s’offrait à moi.

Les Chinois, auxquels le travail sur les rivières est maintenant presque entièrement dévolu, parce qu’il n’offre plus les mêmes bénéfices qu’autrefois, font preuve dans cette exploitation d’une très-grande habileté, et manœuvrent avec un ensemble merveilleux. L’opération consiste à fouiller le lit d’une rivière, en la détournant sur un côté, puis on recueille les sables du fond, que l’on jette dans des canaux en bois ou sluices, légèrement inclinés. Des obstacles sont opposés au parcours des sables dans les canaux : quelquefois ce sont des doubles fonds en treillis ou des godets remplis de mercure. L’or, dans tous les cas, se trouve retenu, tandis que toutes les matières légères sont entraînées. Une roue pendante, mue par le mouvement de la rivière, fait marcher une pompe chinoise ou à chapelet, qui alimente d’eau les sluices.

Du haut du pont en charpente jeté sur le Stanislaüs pour le passage de la route de Coulterville, le coup d’œil des mineurs sur la rivière me parut encore plus pittoresque que des bords. Appuyé à la balustrade du pont, j’assistai à tous les détails de l’opération à la fois. Les travailleurs étaient disséminés le long des rives, sur plusieurs kilomètres de longueur. Chaque compagnie faisait de son claim une sorte de ruche bruyante, où régnaient le mouvement et la vie. Les uns, disposés sur les côtés du sluice, y jetaient la terre et les sables à pelletées ; d’autres, montés sur le sluice, remuaient avec un râteau à dents de fer le gravier et les sables. Ceux-ci faisaient avec le berceau un essai sur le bord de la rivière, et le bruit monotone de l’appareil se mêlait aux cris aigus et discordants des fils du Céleste Empire. Ceux-là, sans doute les mécaniciens et les charpentiers de la troupe, réparaient sur leurs établis les désastres survenus aux roues, à la pompe ou aux sluices, ou bien construisaient de nouveaux appareils.

Sur des rivières de faible débit, quand on a entièrement détourné le cours de l’eau dans un canal latéral, tous les mineurs occupent l’ancien lit. Le pic et la pelle désagrègent les sables ; des chèvres, grossièrement installées, enlèvent les blocs de rocher volumineux, et la pompe assèche complétement le terrain à exploiter. Ainsi vis-je faire sur la Merced, dès que la saison des basses eaux fut venue.

Après avoir longuement contemplé le spectacle intéressant que la rivière Stanislaüs présentait à mes regards, je piquai ma mule de l’éperon, et en deux heures d’un trot soutenu nous arrivâmes à Crimean-house, à l’hôtellerie de maître Brown. Nous y passâmes la nuit, et le lendemain je prenais la route de Stockton, pendant que Vermenouze, non sans jeter un regard en arrière, ramenait les mules à Coulterville.

La route de Crimean-house à Stockton, par la diligence, et celle de Stockton à San Francisco, en bateau à vapeur sur le San Joaquin et la baie, sont connues du lecteur. J’ai décrit aussi San Francisco, où du reste nous reviendrons encore.

Pour cette fois embarquons-nous sur le magnifique vapeur Antilope, et, traversant la triple baie, entrons dans le Sacramento et remontons ce fleuve, aux rives verdoyantes, jusqu’à la ville qui porte son nom. Tout le long de la route se montrent de magnifiques campagnes bien cultivées. Les comtés de Solano, Yolo et Sacramento, qui s’étendent à gauche et à droite, sont parmi les plus fertiles de l’État.

La ville de Sacramento, le but de notre voyage en steamer, est non-seulement la capitale, mais aussi la plus belle ville de la Californie, et par conséquent du Pacifique. C’est là que siége, dans le Capitole, la législature de l’État, c’est-à-dire la chambre des représentants et des sénateurs. Ces derniers sont au nombre de 35, et les représentants ou membres de l’assemblée au nombre de 80. Les séances s’ouvrent chaque année du commencement de janvier à la fin d’avril. Les sénateurs sont nommés pour deux ans ; les membres de l’assemblée sont renouvelés chaque année.

Sacramento mérite à tous égards son titre de capitale ; ses quais, élevés le long du fleuve, sont grandioses, et les wagons du chemin de fer de Folsom viennent prendre jusque sur les navires les marchandises pour l’intérieur du pays. Les rues de Sacramento sont larges et bien percées, se coupant d’équerre comme dans toutes les villes nouvelles des États-Unis. De beaux hôtels, des édifices somptueux, des églises monumentales mêlent