Page:Le Tour du monde - 05.djvu/392

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village se précipitèrent dans la direction de l’établissement, avec des cris d’épouvante, et y pénétrèrent. Ayant saisi mes armes et m’étant avancé au dehors, j’appris de mon drogman qu’il venait d’arriver trois compagnies des hommes de divers négociants de Khartoum, revenant du pays des Rôol où ils avaient brûlé plusieurs villages et qu’ils descendaient le fleuve avec une soixantaine d’esclaves, digne trophée de leurs brigandages. Il paraît que les noirs de notre bourgade, qui depuis plusieurs jours étaient avertis de leur passage, et qui s’étaient, en conséquence, préparés à se défendre, avaient supposé d’abord qu’à l’arrivée des blancs je me serais entendu avec eux, pour leur ravir à eux-mêmes leurs enfants et leurs jeunes filles. Mais rassurés par les observations de leur chef, et tranquilles désormais sur mes intentions, les femmes et les enfants, à la vue de ces hommes armés au nombre de quatre-vingt-quatre, qui débarquaient à une centaine de pas du village, se réfugièrent, comme je l’ai dit, dans notre établissement, pensant avec raison que c’était le seul moyen de salut. Les hommes de leur côté, armés de pied en cap et commandés par Akondit, s’arrêtèrent à une vingtaine de pas en dehors du village, pour observer les nouveaux venus et être prêts à les recevoir en cas d’attaque.

M’étant rendu compte de l’état des choses, je laissai trois hommes à la garde de l’établissement que je fis fermer après avoir hissé le drapeau anglais, et sortant avec cinq hommes, le drogman et notre suite, je m’arrêtai sous les tamarins voisins. J’y fis appeler le chef Akondit, qui s’empressa d’accourir avec quelques noirs, et je leur fis dire que dans mon opinion, les Turcs (c’est ainsi qu’ils appellent les négociants de Khartoum et d’Égypte) ne se risqueraient pas d’attaquer leur village en ma présence ; mais que s’ils le faisaient, je le défendrais par tous les moyens dont je disposais. Pour les rassurer encore davantage, j’expédiai deux courriers à mon compagnon, M. John Petherick, pour l’informer de ce qui se passait, et que, si par impossible notre village était attaqué, je me mettrais à la tête des noirs qui étaient d’autant plus nombreux qu’il en était arrivé pendant la nuit de tous les villages environnants et les aiderais à se défendre, ainsi que c’était mon devoir et notre intérêt.

Village djour. — Dessin de Karl Girardet d’après M. Bolognesi.

Peu après arriva un des négociants suivi de quelques hommes, tous armés ; et après m’avoir fait les salutations d’usage, il me pria de panser un des siens, blessé par une balle à l’avant-bras. Ne me jugeant pas capable d’une pareille besogne, je lui conseillai de s’en aller chercher aux environs du fleuve M. Brun-Rollet, qui, plus expérimenté que moi, ne se refuserait certainement pas à se charger de l’opération. Le négociant me dit alors qu’il ne comprenait pas quel motif m’avait poussé à interdire aux noirs de lui porter de quoi manger. Je lui répondis avec