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empreintes de cette divine liberté jusqu’au moment où l’esclavage l’a étouffée avec le génie de l’art, qui en est inséparable. Dans le principe, l’île d’Égine, libre et indépendante, produit seule. Ce n’est qu’après Pisistrate qu’Athènes voit Phidias : avec Praxitèle la simplicité se change déjà en élégance ; sous Alexandre, Lysippe tente vainement une renaissance ; déjà l’apathie du luxe et l’abrutissement qui en résulte ont remplacé l’esprit public et l’amour désintéressé de la gloire ; l’art ne donne plus aux vues étroites et aux passions raffinées de ceux qui le payent qu’une redite ou un travestissement des inspirations précédentes. Le ragoût des ornements, le maniéré des draperies, l’abus des détails, le mesquin et le minutieux dans les arrangements le précipitent rapidement vers sa décadence, et il s’en va, sous le dernier des Ptolémées, mourir sur le sol d’Égypte qui lui avait donné naissance.


La découverte de M. Beulé. — Les fouilles du théâtre d’Hérode. — M. Pittakis. — Recherches infructueuses. — Le temple de Jupiter Olympien. — Un stylite. — Le stade. — L’arc d’Adrien. — La lanterne de Démosthènes. — Les monuments byzantins.

En face des Propylées, dans l’enceinte murée de l’Acropole, est la porte découverte en 1853 par M. Beulé. Cette découverte a fait grand bruit en France. Sur l’un des côtés de cette porte on lit en grec et en français l’inscription suivante : La France a découvert la porte de l’Acropole, les murs, les tours et escalier. Beulé, 1853.

Lorsque M. Beulé arriva à Athènes, la base des murs de l’Acropole devant les Propylées, comme dans les autres parties, était ensevelie sous les terres. M. Beulé supposa que l’Acropole devait avoir une entrée de ce côté, et que cette entrée devait se trouver dans l’axe de la porte centrale des Propylées ; il commença donc les premiers travaux de déblayement à ses frais, les continua aux frais du gouvernement français, et après deux années de fouilles poussées avec une conviction ferme et une persévérance infatigable, il découvrit complétement une porte flanquée de deux bastions.

M. Beulé donna de cette découverte une explication très-compliquée, basée sur différentes suppositions : démolition des murs par Sylla, empressement à les relever à l’approche des Goths, travail en sous-œuvre, abaissement du sol antique, etc. Quelques savants ont relevé des contradictions dans ces ingénieuses hypothèses : ils croient que le jeune archéologue a trop voulu prouver et que l’accord possible des faits qui servent de base à son mémoire n’a pas été suffisamment établi. Cependant une porte était là, et il était naturel de vouloir donner une explication historique au risque de rencontrer des objections. Mais voici une critique plus grave. M. Beulé affirme que cette porte a quelque parenté avec le plan de Mnésiclès, en d’autres termes, qu’elle est la porte de l’Acropole. C’est là une question d’art. La conception d’une semblable entrée, large d’un mètre quatre-vingt-neuf centimètres, donnant accès sur un escalier qui a soixante-dix pieds d’ouverture et plus de cent pieds de développement, peut-elle se rattacher au plan des Propylées ? y a-t-il une preuve qui l’y rattache ? La seule serait une petite muraille à laquelle M. Beulé donne le nom de mur pélasgique ; or ce mur pélasgique ressemble si étrangement à ce que les Romains appelaient opus incertum, qu’il est permis de ne pas croire à l’existence précédente d’un escalier grec ou à une intention d’escalier et qu’on parait être autorisé à ne pas supposer à l’architecte une idée qui eût été une faute énorme de perspective et de proportion..

Des fouilles très-intéressantes, mais qui ont fait moins de bruit, sont celles entreprises au théâtre d’Hérode Atticus, enseveli sous les décombres du versant méridional de l’Acropole. Elles ont été commencées en 1857 par M. Pittakis, conservateur des antiquités d’Athènes. M. Pittakis est l’homme de l’Acropole. Dès le matin on voit sa mince silhouette cheminer à travers les décombres, et le soir on la voit redescendre, grossie de quelque trésor nouveau, qu’il dérobe aux regards sous les pans de sa redingote ; son cabinet, encombré de bas reliefs et d’inscriptions, offre une image fidèle de son érudition encyclopédiste. C’est un catalogue vivant, et sa mort déclassera bien des fragments dont lui seul sait l’origine et l’importance.

Nous allions souvent, Dunoyer et moi, à l’Odéon d’Atticus pendant qu’on déblayait les gradins. M. Pittakis était toujours là, ne perdant pas un coup de pioche ; c’était chaque fois une découverte nouvelle et aussi une nouvelle discussion.

Ces visites avaient développé en nous le goût des recherches, et l’occasion se présenta bientôt de faire nos premières armes. Un matin que nous étions sortis à cheval, Dunoyer et le professeur St… prirent à droite pendant que j’allais à gauche. De retour à l’hôtel, je trouvai mes compagnons en proie à un enthousiasme indescriptible : ils avaient vu au pied de l’Hymette, sur le bord de la mer, des tumulus ; il fut convenu que nous demanderions au ministre Christopoulos l’autorisation de leur percer le flanc, laquelle autorisation demandée et très-gracieusement accordée, nous partîmes le lendemain, au lever du jour, précédés d’une demi-douzaine d’ouvriers. Le cortége, mi-parti à cheval, mi-parti à âne, cheminant entre les baies odorantes du myrte, s’en allait gaiement, mêlant sa voix grave aux cris aigus de la cigale. En arrivant on déjeuna copieusement, cette course matinale ayant largement ouvert l’appétit de chacun, puis on se mit à l’œuvre ; mais les ouvriers grecs fument beaucoup, et le brasier où ils allumaient leurs cigarettes était à une grande distance du chantier, en sorte que le soir ils eurent enlevé à peu près un pied de terre, fumé de vingt-cinq à trente mètres de cigarettes et fait une dizaine de lieues. Nous nous en tînmes donc là, au grand désespoir du professeur St…, qui avait déjà supputé sur ses doigts la part du trésor qui lui reviendrait.

En dehors de l’Acropole, les monuments sont encore nombreux : au sortir de l’odéon d’Atticus, on suit une ligne d’arcades qui faisaient partie du portique d’Eumène ; on laisse à sa gauche le théâtre de Bacchus, enfoui sous les décombres, et on arrive à l’arc d’Adrien