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assez long, son bec ressemble à un clou ; ses pattes d’échassiers se terminent par trois doigts.

Le fauconnier porte un fort gant à la Crispin, pour se garantir la main du contact aigu des énormes serres de l’animal. Un chaperon de couleur éclatante emboîte la tête de l’oiseau ; quelquefois il est très-orné. On l’assujettit à la base du cou au moyen d’une coulisse plissée. Le faucon réservé pour la chasse des gazelles, avait un couvre-chef dont les yeux étaient simulés par plusieurs rangs de perles. On pend souvent des amulettes d’argent ou de nacre à son cou, et l’on attache des grelots à ses pattes. L’oiseau s’habitue à l’homme qui a soin de lui. Le fauconnier ne cesse de lui parler pendant la route. Au moment du combat, il l’encourage. Après la lutte, il le félicite, lui humecte le bec et lisse avec soin les bouts de ses ailes et de sa queue.

Quelquefois, le faucon perd le gibier de vue ; on essaye alors de le remettre sur la trace en poussant de grands cris. S’il persiste à se poser sur un arbre, sans s’élancer de nouveau, il faut le reprendre ; et, pour le décider à descendre vers le fauconnier, on fait tourner et l’on jette en l’air une aile d’aigle attachée à une corde, ou, si ce moyen ne réussit pas, on lui montre un morceau de viande fraîche que l’on agite avec la main gantée.

Le perchoir pend derrière la selle du fauconnier ; c’est une plate-forme fixée à l’extrémité d’une tige de cinq à six décimètres de longueur, se terminant en fer de lance pour être fichée en terre ; le faucon mange sur cet isoloir et s’y repose. À la halte du soir, notre hôte, pour nous faire honneur, envoya planter deux faucons à la porte de la hutte en terre qui nous abritait.

Suivant la coutume religieuse des musulmans, on détacha la tête des houbaras presque jusqu’à la colonne vertébrale. Il faut, pour la purification, que l’on entaille le tube digestif et la trachée-artère ; c’est une opération obligatoire à l’égard de tous les animaux qu’on a l’intention de manger en chasse ; on pend ensuite l’animal à une selle.


Chasse au lièvre et à la gazelle.

La chasse du lièvre est plus intéressante que celle du houbara ; on le fait lever dans les petites sinuosités d’un sable jaune, que tachent quelques maigres touffes d’une plante ressemblant à de petits buissons de thym.

Le lièvre parti, une couple de lévriers suit sa trace, et on lance le faucon qui, pendant quelque temps, arrase les chiens, gagne sur eux et saisit le pauvre animal en lui enfonçant ses ongles vigoureux dans le cou. Si le lièvre est fort, il entraîne quelquefois son ennemi, mais sa course en est ralentie et il est bientôt rejoint par les lévriers et les chasseurs.

Le faucon n’est pas toujours heureux ; et il est rare, s’il ne réussit pas du premier coup, qu’il veuille reprendre la piste plusieurs fois de suite ; il se décourage ; la chasse se poursuit alors avec les lévriers et les chevaux. On peut courir longtemps sans succès, comme cela nous arriva au premier lièvre, qui disparut tout à coup. Le second ne nous échappa point.

En somme, nous n’avions pas à nous plaindre de la matinée. Nous nous établîmes en plein sable pour le déjeuner. Le tapis fut déployé, et les cuisiniers se mirent à l’œuvre. En un clin d’œil, un feu pétillant de petites broussailles sèches se réduisit en braise incandescente, les broches sortirent de leurs fourreaux, et de petits carrés d’agneaux, entrelardés de bandes de graisse de même épaisseur, furent enfilés en brochettes largement saupoudrées de sel et de poivre. Les domestiques les retournent à quelques pouces du feu, en les manœuvrant avec dextérité. Le train de derrière du lièvre encore chaud fut aussi embroché ; on abandonna la partie antérieure aux chiens, nos compagnons, en leur qualité d’infidèles.

Le kebab (c’est le nom de la viande que l’on cuit de cette manière) est très-tendre. Ordinairement, on apporte vivant l’agneau pour le tuer sur la place même où on le rôtit. Du riz, préparé la veille et réchauffé sur le terrain, et une cruche d’eau, complétèrent notre repas. Chevaux, chiens, faucons et gens, capricieusement groupés, donnaient de l’intérêt à cette scène. Le ciel était sans nuages ; et l’on aurait vainement cherché sur le sol une ombre de la largeur de la main.

…Le lendemain, ce fut le tour de la chasse aux gazelles. Nous partîmes avant le lever du soleil. Le faucon avait été soumis à un grand jeûne, et les lévriers étaient tout aussi affamés. Deux hommes d’un camp d’Illyates, où nous étions, guidaient notre petite troupe. Ils étaient toujours les premiers à signaler la présence, au loin, des animaux que nous cherchions ; nos yeux avaient beaucoup de peine à découvrir quoi que ce fût dans la direction qu’ils nous indiquaient ; la bête n’apparaissait à l’horizon que comme une légère tache jaunâtre. L’étendue de la vue et de l’ouïe de ces habitants des grandes solitudes est prodigieuse.

Dès que la présence des gazelles est signalée, on avance avec précaution pour reconnaître leur nombre et la direction qu’elles suivent en paissant. Le terrain détermine le genre de chasse que l’on doit faire.

Si l’on se décide pour la chasse à courre : le faucon ainsi que les chiens approchent le plus qu’ils peuvent, toujours maintenus dans la direction du gibier, et les cavaliers se groupent de manière à couvrir le moins d’étendue possible. Les gazelles, cependant, ne sont pas longtemps à s’apercevoir qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire non loin d’elles ; un moment, elles observent l’espace avec leurs grands yeux limpides, elles semblent le sonder avec leur nez si fin et leurs oreilles si mobiles ; puis, comme leur seule défense est dans la célérité, elles prennent une avance qu’il est souvent très-difficile de diminuer. C’est le signal : l’oiseau fend l’air, les lévriers arrasent le sable, les gazelles bondissent et touchent à peine la terre, les chasseurs s’élancent, se séparent et, selon la force des jarrets de leurs chevaux, galopent avec fureur dans diverses directions, longtemps, très-longtemps ; le plus souvent, les chiens. qui avaient d’abord pris une certaine avance, ne gagnent