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Maintes fois nous nous sommes arrêtés devant ces monuments, non pour faire notre prière à Pachacamac, divinité qui nous est inconnue, mais pour examiner en amateur les fleurs placées à leur sommet. Ces fleurs étaient des lis blancs, des héliconias, des érythrines d’un minium pourpré et des amaryllis rouges à stries vertes, qui croissent à l’ombre des buissons, dans les vallées orientales. De l’endroit où elles avaient été cueillies à l’apachecta où nous les trouvions, la distance approximative était de trente à quarante lieues.

Ces monuments qu’un savant d’Europe prendrait volontiers pour des tumulus, et un employé du cadastre pour des bornes milliaires, se recommandent moins à l’attention par leur caractère architectural que par le cachet indéfinissable qu’ils doivent aux éclaboussures verdâtres dont ils sont littéralement couverts de la base au faîte. Les éclaboussures n’ont d’autres causes que le passage successif des Indiens et l’acte religieux que chacun d’eux croit à accomplir en retirant de sa bouche la coca qu’il mâchait et en la lançant contre les parois de la pyramide.

L’apachecta.

Au bruit des pas de nos montures, l’Indien et sa femme, qui s’étaient retournés, s’arrêtèrent court pour nous voir passer. Tout en nous considérant d’un air ébahi, ils ne manquèrent pas de nous saluer d’un alli llamanta et d’ôter leur montera. Les lamas avaient fait halte aussi, à l’exemple de leurs maîtres, mais moins polis que ces derniers, ils se bornèrent à nous examiner de leur œil doux et impassible, sans nous honorer d’un salut quelconque. À la tombée de la nuit, nous arrivâmes à Pucara, ayant fait à travers la puna neuf lieues espagnoles, équivalant à douze lieues de France.

Pucara était autrefois un point isolé du territoire des Indiens Ayaviris. Vers la fin du douzième siècle, Lloque Yupanqui, troisième empereur du Pérou, après de sanglants démêlés avec ces naturels, qui refusaient de le reconnaître pour maître, disaient les chroniqueurs, et d’abandonner le culte des montagnes et des cavernes qu’ils tenaient de leurs pères, pour embrasser le culte du soleil, Lloque Yupanqui, étant parvenu à les asservir, fit construire sur la limite sud de leur territoire une forteresse en pisé (pucara), aujourd’hui détruite, mais comme il en existe encore des échantillons bien conservés en certains endroits du Pérou. Dans cette forteresse, l’Inca plaça une garnison destinée à surveiller les Ayaviris et à prévenir leurs rébellions futures. Quatre siècles plus tard, dans les guerres de partisans que les conquérants espagnols se firent au Pérou, ce même site de Pucara fut témoin de la défaite du capitaine Francisco Hernandez Giron.

Le Pucara actuel est un morne village qui compte une centaine de chaumières, bâties moitié en torchis, moitié