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que, et non dans la maison du Seigneur ; enfin d’oublier toute convenance quand il reproche aux femmes leurs penchants et leurs ridicules.

Quand M. Kimball se fut assis, on fit la lecture d’une liste de noms, pris sur des lettres qui n’avaient pas été réclamées ; puis M. Eldrige, arrivé récemment d’un voyage apostolique, dit la prière terminale que l’auditoire écouta debout, donna la bénédiction et prononça l’amen.

Le sacrement de l’eucharistie ne devait pas être donné ces jour-là ; souvent administré dans l’Église mormonne, il y est réduit à sa plus simple expression ; le vin lui-même, comme étant un produit des hérétiques, y est remplacé par de l’eau pure. Deux anciens, dont l’un porte une cruche, l’autre une assiettée de petits morceaux de pain, vont et viennent dans les rangs, et les fidèles communient.

Aussitôt qu’on eut proféré le dernier amen, je me faufilai au milieu des trente véhicules (chariots et autres voitures) qui attendaient au dehors la sortie des fidèles, et j’allai avec le colonel Stambaugh faire une promenade aux rives du Jourdain, rivière sacrée, que mon palais, non régénéré, trouva saumâtre et d’une odeur désagréable. Malgré la sécheresse, elle pouvait avoir trente mètres de large. On la franchit sur un pont en bois si peu solide que le pas d’un enfant suffit à l’ébranler. Le gouverneur a vivement insisté pour qu’il fût reconstruit, mais ne l’a pas obtenu. Toutefois, en dépit de l’insouciance avec laquelle on traite ici la vie humaine, insouciance commune à cette région, et toute celtique, le progrès y est en faveur et le bien-être n’y est pas dédaigné. M. Brigham, ayant compris les maux qui devaient résulter du déboisement, avait, à l’époque de mon arrivée, pris des mesures pour faire planter sur les bords du Jourdain, et ailleurs, un million de jeunes arbres, au prix d’un cent la pièce. Nous vîmes dans cette promenade plusieurs beaux échantillons des races Devon et Durham, qu’un enfant conduit chaque matin au pâturage ; le salaire mensuel du petit pâtre est d’un demi-cent par bête qui lui est confiée. C’est avec beaucoup de peine et à grands frais qu’on a pu se procurer ces animaux précieux ; mais l’élève du bétail est l’une des heureuses manies du prophète, et l’on observe déjà une différence remarquable entre les bestiaux mormons et les anciens troupeaux espagnols que l’on élève en Californie. Selon toute apparence, du moins quant à présent, l’Utah paraît mieux convenir au nourrissage du bétail qu’à l’agriculture, et il est rare qu’un établissement de cinq cents âmes n’ait pas au moins cinq cents bêtes bovines.

Après avoir contourné par la base le pic de l’Enseigne ou du Signal qui se dresse au nord-est de la ville, nous atteignîmes les fameuses sources chaudes, but de notre excursion.

Les Hot Springs, situés à deux milles et demi environ du faubourg, sortent du versant occidental des monts que l’on voit derrière le pic de l’Enseigne. Une eau abondante s’échappe du roc ; elle est reçue dans un bassin d’où elle s’écoule et va former un petit lac, dont la circonférence est d’un à trois milles, suivant la saison. À l’endroit où elle apparaît, l’eau est assez chaude pour cuire un œuf ; un peu plus bas, le mercure s’y élève à cinquante-trois degrés trois neuvièmes ; elle conserve quelque chaleur à une assez grande distance de la source. Il en résulte qu’en hiver elle est fréquentée par des vols nombreux d’oiseaux aquatiques, et par les enfants des Indiens campés sur ses bords, pauvres petits qui s’y plongent pour dégourdir leurs membres glacés.

Les Hot Springs. — Dessin de Ferogio d’après M. Stansbury.

Les Mormons prétendent que l’eau des Hot Springs, de même que celle du lac Utah et du Jourdain, surpasse encore en vertus purifiant es les rivières d’Abana et de Parphar de l’ancienne Judée Ces eaux thermales étant de même nature que celles de Harrongats, il est probable qu’elles seront utiles aux gens de la vallée sainte dès que le luxe y aura pris de l’accroissement.

Lorsque le vent souffle du nord, la franche odeur d’hydrogène sulfuré et de sateratus qu’il apporte n’est pas celle de l’eau de Cologne. Un anti-Mormon, qui a parlé de ces eaux chaudes et des traces évidentes de l’action plutonienne dont elles fournissent la preuve, s’arrête avec complaisance sur cette probabilité, qu’avant peu la Nouvelle-Sion deviendra la proie des flammes infernales, comme autrefois Sodome et Gomorrhe, auxquelles notre auteur les compare insidieusement.

Traduit par Mme Loreau.

(La fin à La prochaine livraison.)