Page:Le Tour du monde - 07.djvu/132

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une touffe de branches recourbées gracieusement comme un panache.

Sous mes yeux se déployait une nature aussi pittoresque que sauvage : des bois à perte de vue, et des montagnes noires de l’effet le plus affreux. À chaque instant des arbrisseaux épineux me déchiraient la figure, et je tremblais de déranger quelque république de mouches jaunes, dont la piqûre est très-douloureuse et qui, dans l’état où j’étais, auraient pu me faire un très-mauvais parti.

J’arrivai bientôt à un plateau d’où le regard embrasse les plaines et les montagnes du Grand-Port ; quelques minutes après, j’étais au Grand-Bassin. — Ce réservoir, qui passe pour une des merveilles du pays, est un lac situé dans la plaine la plus élevée de l’île, à deux mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Il est dominé par un monticule boisé sur lequel on a planté un drapeau. De grands arbres l’entourent comme une ceinture, et au fond s’estompent légèrement dans la brume les crêtes des montagnes de la Savane.

Vue du Grand-Bassin.

Le centre du bassin est occupé par une petite île sur laquelle on a planté des vakois et des arbrisseaux, et qui ressemble de loin à une corbeille flottante. Un jardin et quelques bananiers entourent la case où habite un noir, placé là comme gardien par le gouvernement. Il n’y a pas d’oiseaux aquatiques sur le Grand-Bassin, et ses eaux ne renferment que des poissons dorés et des anguilles énormes. On prétend que ces dernières ont quelquefois dévoré des baigneurs. Les environs abondent en gibier et en singes, dont on entend de temps à autre le cri aigu et désagréable.

Le Grand-Bassin est le réservoir d’où s’échappent, dans toutes les directions, ces rivières bienfaisantes qui fournissent l’eau à tout le pays. En divers endroits, sa profondeur va jusqu’à soixante pieds ; il y en a d’autres dont la croyance populaire veut qu’on n’ait jamais pu trouver le fond. Sa circonférence est d’environ un quart de lieue, et tout porte à croire que c’est un ancien cratère ; le terrain d’alentour est entièrement bordé de laves. On s’est étonné longtemps qu’il soit toujours rempli d’eau, mais, suivant l’observation très-juste d’un voyageur, cette particularité s’explique aisément, puisqu’il est comme encaissé au milieu de montagnes bien boisées, et que des filets d’eau imperceptibles sortent de leurs bases au milieu des laves poreuses, sans parler des conduits souterrains que l’œil ne saurait découvrir. Quelques personnes ont assuré aussi qu’il suivait le mouvement des marées, ce qui aurait prouvé une communication souterraine avec la mer ; mais des expériences récentes, faites sur les lieux par MM. Liénard, ont démontré la fausseté de cette hypothèse.

Retenu quelque temps au Grand-Bassin par une pluie torrentielle, j’arrivai tout trempé à Combo, où la meute de mon hôte me fit un brillant accueil.

Un des passe-temps qu’affectionnent le plus les créoles est sans contredit la chasse au cerf, presque abandonnée en France depuis la Révolution et la division des propriétés. À Maurice, où le nombre de ces animaux est encore considérable, une chasse au cerf est une véritable partie de plaisir : on part en bande de quinze ou seize personnes, et on se rend dans un endroit de la forêt ou se trouve un Boucan, ou lieu de halte formé le plus souvent d’un simple hangar recouvert de paille ; mais les gens riches font bâtir de petits pavillons en bois, et on y reste quelquefois pendant une quinzaine à pêcher et à chasser dans les environs.

Chaque chasseur part avec un petit sac de voyage et une grosse couverture de laine, dont il s’enveloppe pendant la nuit qui, dans la forêt, est souvent très-froide. Vers quand midi, les domestiques noirs ont rabattu le cerf, tous les chasseurs courent se placer sur la ligne où il doit passer et attendent impatiemment le moment de