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l’enivrait et il aimait à se montrer au peuple dans le superbe appareil des sultans. Un voyageur de cette époque, s’étant trouvé sur le passage du padischa tandis qu’il se rendait à la mosquée de Sainte-Sophie, s’écria avec enthousiasme : « La plus belle odalisque ne pourrait lui disputer le prix de la beauté ; il a les yeux noirs, la bouche vermeille et le teint admirable ; sa taille est grande et majestueuse, enfin toute sa personne inspire l’admiration. »

Malgré ces avantages extérieurs Osman ne gagna pas les sympathies de la multitude ; il se montrait déjà farouche, violent, inflexible ; le sérail était promptement rentré dans l’obéissance sous sa main de fer. Il avait des sévérités qui faisaient trembler les vieux pachas et répandaient la terreur autour de lui. Il eut un fils avant l’âge de seize ans et n’attendit pas qu’une barbe naissante ombrageât sa lèvre pour se mettre à la tête de l’armée. Soit intrépidité, soit présomption, il voulut commander les trois cent mille hommes qu’il envoyait en Pologne ; mais après une sanglante campagne il revint à Constantinople vaincu et presque fugitif. Profondément humilié par ces revers, il accusa les janissaires d’avoir manqué de valeur et conçut contre cette milice une haine implacable. Sans doute il résolut dès lors de la détruire, mais il fut distrait de son dessein par une autre préoccupation.

Il y avait à Constantinople une jeune fille de grande naissance nommée Ashada ; quoique le harem du cheik-ul-islam son père fût un endroit inaccessible, on savait qu’elle était d’une beauté si rare que peut-être elle n’avait point d’égale dans tout l’empire. Le padischa fut tenté par le portrait qu’on lui fit de cette merveille. Il demanda au cheik-ul-islam de lui amener sa fille. La belle Ashada répondit fièrement que le Sublime Empereur était le maître de sa vie, mais qu’elle aimerait mieux être la femme légitime du dernier de ses sujets que de devenir une de ses odalisques. Ce scrupule étrange chez une Turque irrita la passion du sultan et il n’hésita pas à élever au rang d’épouse légitime l’ambitieuse jeune fille. Elle fut conduite dans le sérail avec le cérémonial en usage pour les mariages musulmans et prit immédiatement le titre de sultane.

Cette infraction aux lois de l’État et aux coutumes de la maison ottomane révolta le sentiment public ; les pachas, fatigués du joug qui pesait si lourdement sur eux, s’unirent aux janissaires mécontents ; on répandit des nouvelles inquiétantes et bientôt le bruit courut que le sultan Osman, prêt à quitter le sérail de Constantinople, allait transférer le siége de l’empire au grand Caire. Alors le peuple crédule commença à s’agiter et à parler du sultan avec des termes de mépris. Au premier indice de cette sédition le sultan avait envoyé les muets étrangler son frère Mohammed. Depuis environ trente ans aucun mâle du sang impérial n’avait péri de mort violente et cet acte de cruelle prudence acheva de rendre le sultan odieux. La révolte se propagea comme un incendie : les janissaires investirent le sérail avec des menaces effroyables, et leurs agas, loin de les retenir, marchèrent avec eux. Osman n’avait autour de lui que la population du sérail ; pourtant il opposa une énergique résistance à ses ennemis et l’on se battait depuis quatre jours lorsqu’il tomba entre leurs mains. Les cruels janissaires le conduisirent au château des Sept-Tours en l’accablant d’outrages et en portant devant lui au bout d’une pique la tête sanglante de son grand vizir.

Lorsque le sultan déchu fut sorti du sérail, le kislar-aga qui à la tête de ses eunuques noirs gardait le quartier des femmes, se rendit près de Kiosem. La veuve d’Achmet II était restée dans le harem impérial, à portée de surveiller les événements ; la mort de Mohammed et la déchéance d’Osman donnaient l’empire à son fils aîné Mourad ; portant lorsque le kislar-aga lui annonça cette grande nouvelle, la prudente femme répondit froidement : « Pas encore. »

Elle ne se trompait pas. Les janissaires maîtres de la situation cherchaient partout Mustapha pour le remettre sur le trône ; un ichoglan leur montra sa prison, mais ils ne purent d’abord y pénétrer parce que la porte s’ouvrait dans le quartier des femmes, séjour inviolable, même pour des soldats furieux. On s’avisa enfin d’enlever le dôme de plomb qui servait de toit à la petite tour, et trois janissaires, hardis sauteurs, descendirent dans la cellule ; ils trouvèrent le pauvre prisonnier à demi mort et priant le Koran entre les mains ; pendant tous ces désordres on l’avait oublié, et depuis quatre jours il n’avait pris aucune nourriture. Les deux vieilles et l’eunuque noir gisaient accroupis dans un coin, près de rendre l’âme.

On tira Mustapha de la tour avec des cordes et on le conduisit au camp que les janissaires avaient dressé hors de la porte d’Andrinople ; là, il fut de nouveau proclamé et sur-le-champ il nomma son grand vizir Daround-pacha, qui avait eu l’honneur d’épouser une des sultanes filles d’Achmet II et de la valideh. Quelques jours après Daroud-pacha se rendit au château des Sept-Tours ; il portait au malheureux Osman l’ordre fatal et amenait les sinistres exécuteurs. Osman demanda quelques instants pour se préparer à la mort ; mais au lieu de se mettre en prière, il se précipita sur les muets afin de leur arracher les cordons de soie qu’ils tenaient prêts pour l’étrangler. Cette action les obligea à se servir de leurs armes. Excités par Daroud-pacha, ils massacrèrent leur victime ; Osman mourut comme sur un champ de bataille, couvert de blessures et baigné dans son sang ; il n’avait pas encore accompli sa dix-huitième année.

On s’était empressé de tirer la valideh du vieux sérail ; elle seule savait gouverner l’esprit débile du sultan et empêcher qu’il ne manifestât publiquement sa folie. Telle était son habileté et la surveillance dont elle l’environna, que dans le sérail même on ignora longtemps qu’il était fou et maniaque. Toute l’autorité était concentrée entre les mains de la valideh et du grand vizir, son gendre. Kiosem aurait pu jouir d’une grande influence ; mais elle affectait de ne prendre aucune part aux affaires de l’État. Attentive à se faire oublier, elle