Page:Le Tour du monde - 07.djvu/151

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qu’il nous avait fallu boire en 1840, et qu’elle n’avait pas fini de chanter à tue-tête le fameux refrain du temps : « Non, vous ne l’aurez plus notre Rhin allemand ! » Mais je n’étais pas venu aux bords du Danube pour y chercher la glorification de la France, et je trouve parfaitement légitime que les Allemands célèbrent leur délivrance et leurs victoires, même quand nous ne célébrons plus les nôtres, à condition toutefois qu’ils n’y mettent pas d’injustice. Qu’est-ce que nos grands poëtes, par exemple, ont fait au roi Louis ? Et pourquoi la haine contre nous est-elle allée jusqu’à chasser de la Walhalla Corneille et Molière, quand il fit peindre le Parnasse moderne ? Il me semble que notre littérature est un peu comme ce soleil dont Bonaparte parlait à un autre Allemand, le comte de Gobentzel, après Arcole et Rivoli : « Aveugle qui ne la voit pas[1]. »

Donaustauf et la Walhalla.

La Walhalla n’en est pas moins une grande pensée et une belle chose : le Parthénon d’Athènes transporté en Germanie. Autour du temple, rien que la forêt, les rocs et la montagne. Alentour, pas un village, pas une cabane ; du moins on n’aperçoit même pas du pont de notre bateau l’indispensable maisonnette du gardien. Le temple des héros de la Germanie s’élève seul au-dessus du grand fleuve allemand. Il fait comme partie de la nature magnifique qui l’enveloppe. Toute l’Allemagne passe à ses pieds en remontant ou descendant le fleuve immense, et elle salue du cœur et de la pensée le sanctuaire de la commune patrie.

La Bavaria de Munich avec son Portique d’honneur n’est, après tout, qu’un monument de vanité municipale, et la plupart des grands hommes qui ont là leur buste sont de ceux dont la gloire ne dépasse pas la limite d’une ville ni d’une génération. Il n’en est pas de même à la Walhalla. Elle parle, par les souvenirs qu’elle évoque, à l’Allemagne entière, et par ses belles proportions et son site, aux gens de goût de tous les pays[2]. Nous avions quitté Ratisbonne par un temps magnifique ; mais peu à peu de légères bandes de nuages s’étaient montrées au-dessus du fleuve. Je n’y faisais pas attention, car plus haut et tout autour brillait la lumière argentée du matin qui nous promettait un heureux voyage. Au-dessous, l’eau était pailletée d’argent et d’or. Tout à coup, à un tournant du fleuve, le soleil se voile, la lumière s’éteint, la brume monte et nous enveloppe d’une atmosphère grise et pâle qui roule ses ombres autour de nous, mais que nos yeux ne peuvent percer

  1. L’Allemagne y tient. Le roi de Prusse vient de décider (décembre 1862) que l’anniversaire de Leipzig deviendrait la grande fête nationale de la Prusse. Il a même joint à cette réminiscence, tout en signant un traité de commerce avec nous, un souvenir de Rosbach. Je vous abandonne Rosbach, mais vous étiez dix à la curée du lion, ne l’oubliez donc pas. Et puis, encore une fois, quel profit y a-t-il pour le monde à éterniser ces rancunes ? — Il faut dire aussi que l’institution de ce jubilé anti-français est surtout une manœuvre politique contre les députés libéraux. Mais je ne l’aime pas plus vu de ce côté que de l’autre.
  2. Il faut, pour l’intérieur de la Walhalla, faire une restriction à ces éloges. La double ligne de bustes qui s’étend le long des murailles n’est point d’un effet heureux. On y trouve heureusement à admirer de belles fresques et quelques bonnes sculptures.