Page:Le Tour du monde - 07.djvu/160

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Le petit nombre de pèlerins qui représentaient très-légitimement dans la troupe le sexe laid étaient nu-pieds, comme la plupart des femmes, portaient comme elles au cou des chapelets, des images saintes encadrées de laiton estampé et dont quelques-unes, au moins de format in-octavo, descendaient sur un tablier bleu à bavette.

Deux ou trois des femmes moins laides que les autres riaient et caquetaient avec des soldats en tunique de toile blanche. Un d’eux était pourtant le type le plus parfait de la sottise satisfaite d’elle-même. Son nez gros, mou et tombant, ses cheveux plats sur de grandes oreilles sans orbe, ses lèvres épaisses et son petit œil à fleur de tête justifiaient bien l’épithète de bruta tedesca, qu’un brave Polonais du bord lui décernait avec une satisfaction très-évidente.

Ce Polonais, en costume hongrois et qui parlait italien, avait dans le cœur toute la haine que ses trois patries ont bien le droit de vouer à l’Autriche.

Au bout de quelques heures, le bateau déposa nos pèlerins à terre, auprès d’un gros village. La population entière les attendait en habits des dimanches. On tira des boîtes, des pétards, des coups de fusil, et les cloches sonnaient à toute volée. N’était-ce pas justice ? Ces bonnes gens étaient ceux qui étaient allés prier pour eux et qui leur rapportaient la protection des saints patrons.

L’escalier Mariahilf, à Passau.

Il est des hommes capables de peupler la solitude des cieux de leurs austères pensées ; mais il en est d’autres pour qui le ciel doit s’abaisser jusqu’à la terre. L’Évangile a dit : « Laissez venir à moi les petits enfants. » Qu’ils viennent d’un pas ferme ou tremblant, peu importe, pourvu qu’ils viennent !

Un de mes amis, M. Durand, qui a fait un charmant livre sur le Danube allemand, a rencontré aussi de ces pèlerins de Maria-Taferl, mais il a eu meilleure fortune que M. Lancelot. « Ils étaient une centaine, dit-il, et ils avaient dans les mains des rameaux fraîchement coupés. Quand le bateau eut repris sa marche, ils ne s’assirent point d’abord. Leur chef, un grand vieillard blanc comme un patriarche, les rassembla autour de la bannière, et, debout, tête découverte, tournés vers la rive, ils firent par un cantique leurs adieux à la Madone de Maria-Taferl. Les paroles n’étaient pas pompeuses ; leurs vois rauques et fatiguées ne flattaient pas l’oreille, pourtant il se fit autour d’eux un grand silence. On venait de toutes parts pour les entendre, et la curiosité faisait soudain place au recueillement. De toute prière prononcée par des voix sincères s’élève une secrète émotion qui touche le cœur et l’incline devant Dieu. Et quelle grandeur n’ajoutait pas à cette scène la vue du fleuve, la beauté de ses rives, la présence des montagnes, l’étendue de l’horizon. »

V. Duruy.

(La suite à la prochaine livraison.)