Page:Le Tour du monde - 07.djvu/200

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degré de la prostration. Si l’eau du Nil est une panacée, pourquoi l’appliquer trop tard ? Mais elle s’enfuit, la barque aux fenêtres closes, à la marche triste et rapide comme la maladie qu’elle renferme ; elle disparaît, emportant, à ce détour du fleuve, les sombres pensées ! On ne voit plus que l’eau bleue sous un ciel inaltérable et l’armée des cannes à sucre qui reluit au soleil.

Manfalout, ville au nom antique, est incessamment dévorée par le Nil qui la baigne. Elle montre au voyageur une mosquée à demi éventrée, bazar qui descend boutique par boutique et pend sur l’eau. L’indolence arabe oppose une dédaigneuse inertie au progrès du fleuve ; il est écrit que le Nil emportera ce mur, cette maison, ce champ. À quoi bon lutter ? D’ailleurs la vie est bonne à Manfalout ; on y fait d’excellent beurre, rare trésor en Égypte, et la région des pastèques à chair rouge commence non loin de là ; le commerce y paraît florissant et l’on y vend de tout, même des hommes et des femmes. Le trafic des esclaves interdit par Saïd à son avénement trouve à Manfalout un de ses refuges.

Karnak. — Salle hypostyle.

Si le Nil menace ainsi une moitié de cette ville, c’est que sur l’autre rive les pieds des montagnes restreignent son cours et opposent à ses efforts une dure barrière. Le Djebel-bou-Affodah, rongé depuis des siècles, surplombe à peine, et n’a pas à redouter une chute imminente ; ses murailles, par endroits perpendiculaires, et de place en place percées de grottes, d’hypogées et de carrières profondes, ont failli nous être funestes. La nuit tombait lorsque nous entrâmes dans le courant. Le silence régnait, seulement interrompu par la plainte des eaux qui déchirent les aspérités des rochers ; tout promettait un heureux passage et le gouvernail et les voiles triomphaient du courant ; pleinement rassurés, nous cédâmes à la fantaisie d’allumer des feux verts et