Page:Le Tour du monde - 07.djvu/222

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réunissait sans doute à ses fonctions visibles des attributions plus équivoques. La bière, faite de blé fermenté dans l’eau, fut apportée dans de grandes amphores de terre cuite dont le col était couronné d’un liquide épais et jaunâtre. C’est un hideux breuvage, à le voir du moins, mais non pas à en juger par l’accueil que lui fit notre équipage. Au départ, il y eut des cris, on était altéré encore : mais une noce à laquelle nous fûmes invités leur fut une nouvelle occasion de chanter et de boire.

Nous étions fort curieux de comparer le mariage de Mahmoud à une noce nubienne. Le premier l’emportait par la décence, le bon ton et une propreté relative ; ici, les hommes et les femmes, pèle-mêle, riaient et chantaient dans un tourbillon de saleté, de poussière, de cris et de ténèbres. Une danseuse du pays faisait tête à plusieurs groupes de danseurs qui s’avançaient vers elle avec des attitudes provocantes ; c’était une grande noire, bien faite, hardie, dont la pantomime, assez brutale, ne manquait pas d’élégance ni surtout d’expression. Son grand vêtement bleu, traînant à terre, découvrait ses épaules luisantes ; les nattes de sa chevelure, ornées de verroteries, se choquaient avec un bruit joyeux. Par malheur, cette séduisante personne exhalait une odeur nauséabonde, elle était tout empestée par la graisse de mouton qui sert de pommade aux jours de toilette. Au moment le plus échevelé, le plus frémissant, nos feux de Bengale éclairèrent tout d’un coup la scène ; les lueurs bleuâtres couraient sur le chaos des têtes noires, et la robe de la ballerine n’était plus qu’une vapeur légère. L’effet produit, nous exécutâmes gravement notre sortie au milieu de vociférations frénétiques. Notre réputation de magiciens était faite.

Maharakka.

Debout, matelots paresseux ! il est temps. Le soleil se lève. La nuit a été fraîche, à la manœuvre ! Les rives ont repris leur aspect de richesse pittoresque ; ce sont encore des rochers à pic, des champs étroits qui ressemblent à des jardins. À Deer, un temple à demi engagé dans le roc, dédié par Sésostris à Ammon et Phré, conserve de fraîches peintures qui datent des Ptolémées et des statues d’Isis où l’on retrouve le portrait d’une reine Arsinoé. Ibrim, jadis Primis, possède sur une éminence à pic, au-dessous du Nil, un vieux château sarrasin, et mêle les ruines de deux temples antiques aux débris d’une chapelle grecque. Au fond de quatre spéos (excavations), Prim, génie du lieu, Saté-Junon et Tôt-Hermès à tête d’épervier, reçoivent l’hommage de Toutmosis I, Mœris, Aménophis II et Sésostris. Le 17 janvier, sur deux bas-fonds à fleur d’eau, nous pûmes voir deux crocodiles qui mesuraient de sept à huit mètres de long. Ils avaient l’air de dormir, mais notre arrivée les troubla. L’un plongea tout d’un coup ; l’autre, plus paresseux, nous laissa voir de près ses formes gigantesques