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Kiosem termine la série des sultanes qui ont commandé souverainement dans le sérail et gouverné l’empire ottoman. La valideh Tarkhan abandonna le pouvoir aux grands vizirs et ne se réserva que les moyens d’accomplir de bonnes œuvres. Pieuse et libérale, elle fonda des hospices, donna beaucoup aux pauvres et fit bâtir l’élégante mosquée qu’on voit en abordant la ville impériale, en face de Galata.

Aucun souvenir n’est resté des favorites qui ont passé dans le sérail depuis le règne de Mahomet IV ; ces existences, obscures quoique mêlées à tant de grandeurs, se sont écoulées sans laisser de traces.

Après la destruction des janissaires, le sultan Mahmoud abandonna pour toujours le sérail et alla demeurer dans ses palais du Bosphore. Néanmoins, le siége de l’empire reste à la Sublime Porte ; les divers ministères y sont établis et leurs innombrables employés remplacent le peuple d’esclaves qui remplissait autrefois ces grandes constructions irrégulières et vivait enfermé derrière ces sombres murailles.

Aujourd’hui tout est changé à la cour ottomane ; le faste des anciens jours n’existe plus ; s’il y a encore des muets, ils sont sans emploi, et les eunuques blancs ne jouent pas un grand rôle. Les eunuques blancs sont toujours là, vigilants et mélancoliques ; mais ils n’ont près des sultanes que le rôle de valets de chambre. Le harem impérial suit le sultan dans ses diverses résidences ; les odalisques ont des maîtres de musique ; elles se promènent en carrosse dans les rues de Constantinople et même de Péra. Mais c’en est fait des distinctions dont leurs devancières étaient si glorieuses. Les favorites en titre n’ont plus ni nom ni surnom ; elles s’appellent prosaïquement Mme première, Mme seconde, etc., etc. Aujourd’hui elles ne risquent plus de tomber frappées à mort par leur maître ou d’être cousues dans un sac de cuir et jetées au fond de la mer. Pourtant si l’ombre de la valideh Kiosem pouvait revenir dans le harem impérial, elle s’indignerait de cette décadence et trouverait son sort bien plus beau. Elle fut étranglée, il est vrai, mais elle était née esclave et ne mourut qu’après avoir régné.

Mme X….



VOYAGE AU KORDOFAN,

PAR M. G. LEJEAN[1].
1862. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


I

Départ de Khartoum. — Silhouettes d’indigènes. — Le mont du Diable. — Des fonctionnaires peu populaires. — Arrivée à Lobeid.

Me trouvant à Khartoum au commencement d’août 1860, et décidé à utiliser dans un intérêt scientifique les loisirs trop prolongés que me faisaient les vents du sud qui empêchaient toute exploration sur le Nil Blanc, je m’étais résolu à me lancer dans le sud-ouest, au Kordofan, avec un vague espoir de pénétrer par le pays des Nouba dans les régions encore inconnues de la Nigritie orientale. Un ornithologiste romain fort distingué, qui était de passage dans la même ville, le marquis Horace Antinori, de Pérouse, ancien membre de la Constituante romaine, joignit sa petite caravane à la mienne, société que je n’eus garde de refuser.

Le 6 août après midi, nous nous embarquions à bord d’un joli steamer égyptien que son capitaine, M. Louis de Tannyan, mettait gracieusement à notre disposition jusqu’à Ondourman, sur la rive ouest du Nil Blanc, où nous avions donné rendez-vous à nos chameliers ; et vingt minutes plus tard nous descendions sur la plage brûlée et onduleuse qui s’étend entre le confluent des deux fleuves et le village, après avoir reçu les adieux du docteur Perney et des amis qui nous avaient escortés jusque-là.

Nos chameliers n’arrivèrent que le lendemain matin, et nous fûmes heureux de trouver une hutte vide et propre pour nous abriter contre une pluie diluvienne qui eût suffi à nous prouver que nous n’étions plus en Nubie.

Le 7 au matin, nous nous mîmes en route.

Nous avions cinq chameaux pour nos hommes et nos bagages ; nous montions en outre deux de ces admirables petits ânes qui sont la providence du voyageur au Soudan. Sobres, infatigables, doués de jarrets d’acier (les nôtres ont fait en un jour dix-neuf lieues), ces braves petits trotteurs passent là où ne peuvent vivre le cheval ou le chameau. Quant à nos hommes, leur physiologie serait assez longue à faire ; en voici une esquisse à grands traits qui les présentera au lecteur.

Mohammed-Skanderani, cuisinier d’Antinori, amené par lui de la basse Égypte, vrai fils du pavé d’Alexandrie (j’oublie qu’Alexandrie n’a pas de pavé), serviteur alerte et ingénieux en voyage, mais au repos le mécréant le plus irrégulier qui soit. Il ne peut passer à côté d’une jolie fille à cheveux tressés et beurrés sans lui adresser la parole ; il ne croit guère en Dieu, il croit peu au Prophète, mais rien au monde ne le ferait manger d’un animal tué en dehors du rite musulman.

Il a pour ennemi personnel mon drogman, Carletto, un Toscan, chasseur d’éléphants, en ce moment sans ouvrage, et qui parle italien de façon à prouver que tous

  1. Voy. tome V (premier semestre de 1862), p. 397.