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Louvre, où nous pouvons prendre une idée exacte de cet art assyrien déjà si remarquable à une époque où l’art grec était encore à naître. Les dessins de M. Flandin ont d’ailleurs conservé la fidèle image de ce qui n’a pu venir se ranger dans notre Musée.

Les fouilles de M. Botta à Khorsabad ne sont pas seulement remarquables par ce qu’elles ont produit : elles auront eu l’éternel honneur d’ouvrir la voie aux explorations assyriennes. C’est un riche et glorieux fleuron que la France peut ajouter à sa couronne scientifique. Ce sont les fouilles de M. Botta qui sont devenues l’occasion de celles d’Angleterre et qui leur ont donné l’impulsion. Le nom de notre savant explorateur vivra dans la science ; seulement il est permis de regretter que les résultats de ses travaux n’aient pas été publiés dans une forme qui en rende la connaissance plus générale et la gloire plus populaire. Des volumes d’un format gigantesque et dont le prix s’élève à plusieurs milliers de francs sont des monuments, sans doute, dignes d’une grande nation ; mais de tels monuments ne sont guère accessibles et ne sortiront jamais d’un cercle bien étroit. L’esprit sagement pratique de nos voisins d’outre-Manche pourrait à cet égard nous servir d’exemple.


Les fouilles de M. Layard à Nimroûd.

Plus d’une fois déjà nous avons nommé M. Layard ; c’est l’éminent explorateur qui, avec M. Botta, a le plus contribué aux découvertes assyriennes. M. Layard appartient à une famille d’origine française. Dans un voyage qu’il faisait en Orient, il vit à Khorsabad les fouilles que poursuivait notre consul. Il y prit un si vif intérêt, que, dès le premier moment, quoique vaguement encore et sans projet défini, sa pensée se tourna vers des recherches semblables. Lui-même s’est toujours plu à reconnaître hautement ce qu’à cet égard il devait à M. Botta.

Un site l’avait frappé en descendant le Tigre de Mossoul à Bagdad : c’était à huit ou neuf heures au sud de la première de ces deux villes, sur la rive orientale du fleuve. Un vaste monticule semé de poteries brisées et de briques aux empreintes cunéiformes indique l’emplacement d’une ville considérable. Le lieu est connu des Arabes sous le nom de Nimroûd, et leurs légendes en font remonter l’origine aux premiers âges du monde. De retour à Constantinople (ou il était attaché à l’ambassade), M. Layard parvint à intéresser à ses projets un de ses opulents compatriotes, et, muni des fonds nécessaires pour les premiers travaux, il se hâta de revenir à Mossoul. C’était en 1845. À Nimroûd, comme à Khorsabad, les excavations annoncèrent promptement ce qu’elles devaient produire. Des portions de murailles, déblayées dès les premiers jours, disaient assez, par la grandeur et la beauté de leurs sculptures, qu’elles faisaient partie d’une demeure royale. Ainsi qu’à Khorsabad, l’incendie qui détruisit l’édifice avait laissé partout ses traces ; dans cette immense étendue de salles successivement dégagées, bien des choses cependant avaient échappé à la destruction. Chaque heure apportait de nouveaux bas-reliefs, de nouvelles inscriptions. Les sculptures murales, comme celles des palais d’Égypte, représentaient les campagnes du prince qui avait bâti le palais ; les inscriptions contiennent le récit de ces campagnes et la longue énumération des pays, des villes et des rois subjugués. Des taureaux ailés à face humaine, tout à fait semblables à ceux de Khorsabad, et, comme ceux-ci, de proportions colossales, gardaient l’entrée principale du palais. Tout ce qui pouvait se détacher et se déplacer a été envoyé à Londres. Étrange destinée de ces restes d’une civilisation éteinte, aujourd’hui transportés aux extrémités de l’Occident, dans une des capitales du monde nouveau qui s’est élevé sur les débris du monde ancien et qui suivent ainsi dans leur déplacement le déplacement même des civilisations !

Les Arabes employés par M. Layard prêtaient leurs bras à ces travaux sans en bien comprendre, on le conçoit, le but ni l’intérêt. Un de leurs cheiks exprimait par des réflexions naïves l’étonnement que lui causait tout ce labeur. « Au nom du Très-Haut, demandait-il, dis-moi, bey, ce que vous allez faire de ces pierres ? Tant de milliers de bourses dépensées pour cela ! Se peut-il, comme tu dis, que ton peuple y apprenne la sagesse ? Ou bien, comme l’assure le cadi, est-ce qu’on va les transporter au palais de votre reine, qui rend un culte à ces idoles comme le reste des infidèles ? Et pour ce qui est de la sagesse, ces figures ne vous apprendront pas à mieux faire les couteaux, les ciseaux et les indiennes ; et n’est-ce pas dans ces choses que les Anglais montrent leur sagesse ? Mais Dieu est grand ! » Puis, après un moment de pause : « Voilà des pierres qui sont enterrées depuis le temps de Noé, — la paix soit avec lui ! Peut-être elles étaient sous terre avant le déluge. J’ai vécu dans le pays depuis des années. Mon père et le père de mon père plantaient leurs tentes ici avant moi ; et jamais, ni eux ni moi, nous n’avions ouï parler de ces figures. Depuis douze cents ans et plus, les vrais croyants sont établis dans ces contrées, et pas un d’eux n’a jamais entendu parler d’un palais souterrain, ni ceux qui y étaient avant eux. Et voici un Franc qui arrive ici de je ne sais de combien de journées de marche. Il vient droit à la place, et il prend un bâton, et il trace ici une ligne, et là une autre ligne, et il nous dit : ici est le palais, là est la porte ; et il nous montre des choses que nous avons eues sous les pieds sans en rien savoir. Étonnant ! étonnant ! Est-ce dans vos livres, est-ce par magie, est-ce par vos prophètes que vous avez appris ces choses ? Dis-moi, ô bey ! dis-moi le secret de la sagesse. »

Ce n’est pas seulement un palais que M. Layard a déblayé sous le tumulus qui recouvrait cette Pompéi orientale : ce sont trois palais renfermés dans une commune enceinte, et qui occupaient l’angle sud-ouest de l’ancienne cité. Nous ne pouvons suivre dans le détail de ses fouilles l’heureux émule de M. Botta. Tantôt les excavations sont pratiquées par des tranchées à ciel ouvert, tantôt par des galeries souterraines longeant les parois intérieures des salles. L’ensemble de ces travaux présente un très-vaste développement.