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Sur la poitrine d’une statue du dieu Nébo (la divinité suprême de Babylone et de Ninive), trouvée à Nimroûd en 1854, on a lu une inscription que nous ne saurions omettre. Cette inscription est une dédicace de la statue « à Phallonkha, roi d’Assyrie, et à son épouse impériale Sammouramit, reine du palais. » Ce Phalloukha, par la correspondance des dates (une autre inscription le désigne comme petit-fils du roi Salmanasar de la stèle mentionnée tout à l’heure), n’est pas différent du Phoul dont la Bible rapporte une double expédition en Syrie et en Israël à dix ans d’intervalle, vers 774 et 764 ; mais ce qui éveille surtout notre vif intérêt, c’est de retrouver ici le grand nom de Sémiramis, — non la Sémiramis légendaire de Ctésias et des traditions mèdes, qui se perd dans la nuit des origines, mais la Sémiramis d’Hérodote, la seule qui ait un caractère réellement historique, celle qui fit exécuter les premiers embellissements de Babylone. L’époque où les indications précises de l’historien place cette reine fameuse (cinq générations avant la mère du prince sous lequel Babylone fut prise par Cyrus) conduit en effet précisément au temps de Phalloukha.

Au milieu de la splendeur que révèlent les vastes constructions des princes qui régnèrent dans les trois siècles compris entre le grand Tiglath-Pilésèr et l’époux de Sémiramis, quand les rois d’Assyrie règnent sur toute l’Asie occidentale, que la Babylonie, la Médie, la Mésopotamie, l’Arménie, la Syrie, et l’Égypte elle-même, sont des provinces de l’empire de Ninive ou ses tributaires, qui aurait pu prévoir que cette grandeur allait s’abîmer dans une terrible catastrophe ? Le jour marqué par la ruine de l’empire était proche, cependant ; la chute fut aussi soudaine que l’élévation avait été rapide.

Les historiens nous en font connaître la cause. La Médie et la Babylonie, soutenues par le roi de la Bactriane, se liguèrent pour reconquérir leur indépendance. Ninive fut prise, nous le savons, en l’année 747, et le roi régnant (que Ctésias nomme Sardanapal) se donna la mort sur un bûcher. L’Assyrie, comme royaume, fut réduite à ses anciennes limites, et la famille régnante qui succomba dans cette révolution fit place à une nouvelle dynastie.

Lion en bronze, figurine du palais de Sardanapal. — Dessin de Catenacci.

Bientôt, cependant, on voit les princes de cette dynastie nouvelle reconquérir pied a pied la prépondérance que Ninive avait perdue dans la révolution de 747. Ici les inscriptions trouvées dans les explorations de M. Botta et de M. Layard confirment et complètent celles qui se tirent des livres saints. Salmanasar, qui prit Samarie en 721 et emmena les dix tribus en captivité, est le deuxième roi de la nouvelle monarchie. Son successeur, Sargon, bâtit la ville et le palais retrouvés sous le tumulus de Khorsabad. Ce fut un prince guerrier et conquérant. On a de lui une inscription d’une grande importance historique. Sauf la Médie, tous les anciens pays soumis à l’Assyrie, la Babylonie elle-même, sont retombés sous sa dépendance. Le fils de Sargon, Sennakhérib, se montre le digne héritier de son père. Il fait aussi une expédition en Syrie, expédition à laquelle on croit pouvoir rapporter le bas-relief assyrien qu’on voit sculpté près de l’embouchure de Nahr-el-Kelb, un peu au nord de Beïrouth, sur les rochers de la côte phénicienne, à côté d’une tablette de Sésostris que le temps a presque effacée. Le palais déblayé par M. Layard à Koïoundjik, le quartier royal de Ninive, fut commencé par ce prince et achevé par son fils Sardanapal. C’est un des plus beaux restes de l’architecture assyrienne. On y lit, dans une des inscriptions de Sennachérib : « J’ai agrandi tous les édifices de Ninive, ma royale cité. J’ai reconstruit ses rues anciennes, j’ai élargi les plus étroites, j’ai fait de la ville entière une cité brillante comme le soleil. » C’est dans une des salles de son palais qu’a été trouvée la précieuse collection de briques couvertes de mémorials et de documents cunéiformes, qu’on a qualifiée tout à la fois d’archives et de bibliothèque.

La fatalité qui, une fois déjà, avait frappé l’ancienne monarchie ninivite dans le temps même où une suite de règnes glorieux semblait avoir assis sa puissance sur d’inébranlables bases, cette fatalité va l’atteindre encore, et d’un coup bien autrement funeste, au moment où de nombreuses victoires ont rendu à l’empire l’éclat des anciens jours. C’est quand Sennakhérib et son fils Sardanapal se glorifient d’avoir fait de Ninive une cité resplendissante, que la grande capitale va tomber une seconde fois, ensevelie sous ses ruines, devant la nouvelle coalition des rois de Médie et de Babylone. Cet immense désastre, qui changea la face de l’Asie, n’est rapporté sur aucun monument connu : ce sont les restes à demi-consumés de la ville de Sennakhérib qui seuls nous racontent aujourd’hui la catastrophe. Et par un singulier accord, qui semblerait inexplicable si nous ne savions combien d’écrivains ont péri dans le naufrage de l’antiquité, un des plus grands événements de l’histoire n’y a pour ainsi dire pas laissé de trace. La plupart des historiens semblent avoir confondu la seconde prise de Ninive en 608 avec la chute du premier empire en 747.


La géographie des inscriptions cunéiformes.

Nous ne pouvons terminer cet exposé des faits nouveaux que les explorations de l’Assyrie, de la Babylonie