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Il en fut de même pendant toute la journée ; mais vers le soir, tandis que j’étais à esquisser une scène de lac et de rochers que j’avais devant moi, l’un de mes gens découvrit de la fumée à mi-chemin de ces mêmes rochers, de l’autre côté du lac, ce qui fixa l’attention de toute mon escorte.

Koubaldos et ses voleurs étaient arrivés là avant nous dans la persuasion que nous devions y passer. Nous prîmes la résolution de camper sur le bord du lac, afin d’échapper aux regards qui devaient nous voir déboucher dans la vallée si nous allions plus loin.

Pendant que mes gens préparaient le souper, je voulus examiner de près une étroite langue de terre qui avançait dans les eaux du lac, un Cosaque et Tchuck-a-boi m’accompagnèrent. Je trouvai que c’était une bande de rochers, large de quatre pas en quelques endroits et de vingt en d’autres parties. La surface en était çà et là garnie d’une épaisse couche de gazon ; ailleurs, la roche était nue, entourée de chaque côté d’une eau profonde ; à l’extrémité qui plongeait dans le lac, les assises du rocher étaient d’un pourpre foncé des plus curieux. L’un de ces rochers avait des dimensions énormes et une crevasse profonde sur l’un de ses flancs ; plusieurs autres l’entouraient sous forme de piliers. De ce point jusqu’à l’isthme qui la rattache à la rive, cette petite presqu’île a bien six cents mètres de longueur (voy. p. 360).

Tandis que je prenais une ébauche de ce tableau pittoresque, mes deux compagnons l’examinaient en vue d’y établir notre campement pour la nuit. Ils me dirent qu’il n’était pas douteux que la bande de Koubaldos ne fût à quelques pas de nous ; ils pensaient qu’elle se jetterait sur nous au moment où elle nous supposerait endormis ; car c’est là leur mode habituel de guerre et de pillage. Ici nous pourrions nous défendre contre cinq cents agresseurs. Une partie de la langue de terre n’avait pas plus de douze pieds de large ; elle était interrompue en plusieurs endroits, semée de blocs de pierre. Le passage le plus étroit était à quatre-vingts mètres du rivage et en avait au moins trente de long. Nous pourrions fusiller à coups sûrs quiconque s’aventurerait, et les visiteurs que nous attendions ne s’étaient jamais trouvés en face d’un feu meurtrier. Il fut convenu qu’on resterait au camp jusqu’à la nuit close, puis qu’on amènerait les chevaux sur la portion la plus avancée de la presqu’île, où on les mettrait en sûreté pour la nuit sous la garde de quatre Kirghis qui veilleraient aussi sur les chiens et les empêcheraient d’aboyer. Les Kirghis avaient si bien dressé ces animaux qu’il n’y avait point à craindre d’en être trahi. Quand ces résolutions furent prises, nous retournâmes au camp où notre plan fut expliqué à tous et des ordres donnés pour l’exécuter.

Baranta ou attaque d’un aoul kirghis (voy. p. 366). — Dessin de Yan d’Argent d’après Atkinson.

Durant la soirée, on avait vu plusieurs hommes nous observer de la montagne. Ils pouvaient voir aisément ce que nous faisions de nos chevaux qu’on ramena le soir, et qu’on attacha comme pour la nuit, entre nous et le lac. On chargea le feu de broussailles, dont la flamme brillante indiquait évidemment aux voleurs que nous nous disposions à nous endormir ; mais lorsque l’obscurité fut assez épaisse, les chevaux furent sellés avec la dernière promptitude afin de se rendre à notre place de sûreté. Deux Kalmouks durent rester afin d’entretenir le feu, avec l’ordre de ne point s’éloigner avant que Tchuck-a-boi les appelât. Nous partîmes lentement pour notre nouveau campement. Arrivés à l’extrémité de la partie étroite de l’isthme, tout le monde descendit ; deux Cosaques allèrent, accompagnés des Kirghis, conduire et attacher les chevaux au fond de la presqu’île ; ensuite on apporta les housses qui devaient nous servir de lits ; elles furent étendues sur le sol à vingt-cinq pas de l’entrée du passage étroit. Un Cosaque et un Kirghis stationnaient à l’extrémité opposée du même passage, c’est-à-dire près de la rive du lac, afin d’attendre l’ap-