Page:Le Tour du monde - 07.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bandoulière, et montés sur des chevaux richement caparaçonnés.

Les Bouriates, peuple nomade de la Sibérie, habitent les monts situés au nord de Baïkal, dans le gouvernement d’Irkoutsk ; on évalue leur nombre à trente-cinq mille individus mâles environ. Ils paraissent être de la même famille que les Kalmouks. Leurs troupeaux font leur richesse ; leur religion est le chamanisme, espèce d’idolâtrie très-répandue parmi les peuples de la Sibérie orientale. Leur dieu suprême habite le soleil ; il a sous ses ordres une foule de divinités inférieures. La femme, chez les moins avancés de ces peuples, passe pour un objet immonde et qui n’a point d’âme. Heureusement les sectateurs de ce culte grossier diminuent de jour en jour.

Nos voitures étaient traînées par des chevaux de paysans ; mais les Bouriates ne voulurent pas permettre qu’ils traversassent la Sélinga. Ils attelèrent leurs propres chevaux, et nous voilà partis au triple galop dans la steppe, avec des cochers et des postillons en robe de chambre de satin, entourés d’une nuée de cavaliers qui faisaient des voltes à se casser le cou pour nous faire honneur. Comme les Bouriates ont rarement l’occasion de conduire des voitures, nous avions sujet de craindre de leur donner le spectacle de gens plus ou moins versés et contusionnés ; mais la Providence permit que nous arrivassions sains et saufs, ainsi que nos voitures, après des soubresauts capables de faire rendre l’âme à l’Auvergnat le plus rompu à l’exercice des pataches ; mais l’habitude des voyages en pleine steppe nous avait aguerris.

On célébrait chez ces braves gens les obsèques de l’un de leurs principaux chefs. Nous assistâmes au service et aux cérémonies funèbres dans un temple mongol, et ensuite aux jeux qui eurent lieu suivant l’antique coutume observée en pareille occasion, savoir : le tir de l’arc, la lutte, les courses à pied et à cheval, après quoi vint un festin à la mode des Bouriates, qui nous servirent des mets beaucoup plus civilisés que les Chinois, comme du mouton rôti, du fromage, quantité de gâteaux, et même d’excellent vin de Champagne.

Nous nous remîmes bientôt en route pour aller dans une autre tribu qui nous attendait et qui possédait le principal temple mongol de la contrée, car les Mongols ont des temples, à l’opposé des Kirghis, qui sacrifient encore sur les rochers et sur les hauts lieux, comme aux temps antiques (voy. p. 392). Ce temple en bois avait un péristyle entouré de seize petites chapelles disposées symétriquement, et où l’on célèbre des cérémonies relatives à l’histoire du dieu principal, qui, je ne sais sous quel nom, n’est autre que le fameux Bouddha de l’Inde et du Thibet. Dans l’une, on conserve la voiture sur laquelle on espère qu’il fera son apparition dans quelques années ; dans une autre, ses chevaux ; ailleurs ses armes, puis ses vêtements, ses livres, etc. Le temple principal est divisé en trois parties : — le péristyle où s’exposent les ex-voto, les offrandes, autour d’un cylindre tournant qui fait mouvoir des cloches ; — la nef, où les lamas, accroupis comme les tailleurs, sur trois rangs psalmodient alternativement des hymnes sacrés sur des rhythmes qui ressemblent extraordinairement à nos chants d’église, ou bien exécutent des symphonies diaboliques sur des instruments impossibles qui ont malheureusement pour les oreilles des auditeurs un rapport étonnant avec ceux des Chinois. Cette horrible musique nous attendait à notre arrivée, et nous reconduisit pendant un verste à notre départ ; — enfin le sanctuaire du temple qui contient les images du dieu, ses transformations, les autels où se font les sacrifices, consistant, comme ceux des Chinois, en fruits de la terre. Bouddha et sa suite divine sont beaucoup moins laids que les dieux chinois. Ils reconnaissent pour chef de leur religion le grand lama du Thibet, et leurs livres sacrés sont écrits en sanscrit. Ils croient à la métempsycose, et, en général, leurs idées religieuses sont plus compliquées et plus absurdes que celles des Chinois.

Comme notre visite les flattait et que l’officier supérieur qui dirigeait notre caravane leur témoigna beaucoup d’intérêt, ils lui donnèrent un exemplaire de leur livre saint, un habillement complet de lama qui avait appartenu à un de leurs prêtres les plus révérés, des clochettes, une petite figure sacrée en cuivre et quelques autres bagatelles.

Leurs yourtes sont comme celles des Kirghiz, composées d’un treillage de bois recouvert d’un feutre très-hermétiquement clos, ce qui rend ces habitations très-chaudes même pendant les plus rudes hivers. Le pourtour de la yourte est occupé par l’autel, les coffres renfermant les habits, le lit, etc. ; et le centre par un foyer dont la fumée s’échappe par une ouverture pratiquée dans le haut. C’est dans les yourtes que nous fûmes présentés aux dames bouriates. Leur costume est pour la forme très-semblable à celui des Chinoises ; l’étoffe est de soie bleu foncé, brochée en or, et les ornements de tête, des oreilles et du cou sont en corail garni d’or et d’argent. Ce costume irait bien à de jolies femmes, la taille exceptée puisque rien ne la dégage ; mais les dames bouriates sont décidément laides avec leurs pommettes très-saillantes et leurs yeux bridés dont l’angle externe remonte jusqu’au milieu des tempes. Les hommes sont beaucoup mieux ; on voit à leur allure dégagée et guerrière que ce sont bien les descendants de Gengis-Khan. Il faut voir comme ils sont lestes et adroits à manier leurs chevaux. Ce sont d’ailleurs de braves gens, francs, hospitaliers, reconnaissants du bien qu’on leur fait, de l’intérêt qu’on leur témoigne, faciles à s’attacher ; en un mot vraie race primitive que la civilisation n’a pas encore gâtée. Ils n’aiment pas à se fixer dans des villages, mais à transporter leurs foyers dans les bons pâturages. Nous avons vu dans leur pays d’innombrables troupeaux de bêtes à cornes, de moutons, de chevaux et même de chameaux. Le gouvernement russe les a beaucoup engagés à s’occuper un peu plus d’agriculture ; ils l’ont promis, mais rien ne témoigne qu’ils soient disposés à tenir leur promesse.

Après avoir de nouveau traversé heureusement le