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de la ville. Dans ce pays singulier, ce n’est pas la moindre singularité que d’y voir, pendant l’hiver, le traînage et les transports faits par des attelages de chiens dressés de longue main à cet exercice. Ils en ont si bien pris l’allure, que des chevaux même auraient de la peine à égaler la rapidité de leur course. L’été, ces animaux, d’un aspect assez hérissé et au nombre de cinq ou six mille, sont enchaînés non loin de la ville, au bord d’un ruisseau aux cent bras qui serpente au penchant d’une colline. Là, chacun se creuse un abri dans la terre. Deux fois par jour on leur apporte à manger du poisson séché au soleil ; ils n’ont point d’autre nourriture pendant tout l’hiver. On n’a point d’idée de la voracité avec laquelle ils se jettent sur cette proie dont la vue et l’odeur n’ont cependant rien de bien engageant. Rien de plus curieux et en même temps de si original que l’aspect de ce courant d’eau bordé d’une multitude de chiens à demi sauvages, qui tous se mettent à hurler dès qu’ils aperçoivent d’autres personnes que leurs gardiens ; les premiers hurlent parce qu’ils vous voient, les seconds parce qu’ils vous sentent, et le reste parce que leurs compagnons aboient ; c’est, sur toute la colline, un tapage à ne pas s’entendre et à faire rentrer sous terre les trois gueules de Cerbère.

Mlle Cristiani dans les marais (voy. p. 399). — Dessin de Foulquier.

Grâce aux abondantes ressources en vins, gibier aquatique, volaille, viande fraîche et poisson dont j’ai parlé tout à l’heure, nous menons ici une vie de Cocagne ; depuis notre arrivée nous ne sommes qu’en festins, et les dames kamtschadales se sont piquées d’honneur pour nous donner une bonne opinion de leur talent culinaire et surtout de leur aptitude à faire de très-bonnes pâtisseries, dont quelques-unes ne seraient pas indignes de figurer sur les tables de marbre d’un Félix ou d’un Quillet. C’est dans ces circonstances que j’ai eu pour la première fois l’occasion de manger des pattes d’ours, rareté gastronomique fort prisée des gourmets du pays et même de la plupart de mes compagnons de voyage. J’avoue, pour mon compte, que je n’y ai vu qu’un mets fort peu ragoûtant ; probablement je manquais des grâces nécessaires pour lui rendre plus de justice.

Après un séjour fort court, car il ne dura que trois journées seulement, nous repartîmes de Petropaulowski pour rentrer dans ce triste océan Pacifique, qui nous devait ramener à Okhotsk. Là, nous avons retrouvé les albatros, les baleines, se jouant à l’entour de notre navire ; les morses ou vaches marines, jetant leurs tristes beuglements à travers le calme du soir ; les poissons se traînant à fleur d’eau ; les veaux marins, chargés de mousse, se laissant aller au gré des vagues et venant bestialement se jeter au-devant des balles de nos chasseurs ; les loutres de mer, défiant les harpons menaçants ; les