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d’hostilités funestes à l’expédition ou tout au moins à ses travaux.

M. Fitzmaurice a dessiné lui-même la scène étrange que nous venons de raconter, et c’est son dessin, placé comme frontispices en tête de la narration de ce voyage écrite par le commandant Lord Stockes[1], qui a servi de modèle à notre gravure.

Il ne faudrait rien conclure de ce récit contre le caractère des habitants indigènes de cette partie de l’Australie.

Quelques jours auparavant, le commandant du Beagle avait rencontré un vieillard, sa femme et leurs quatre enfants. Sa présence avait paru leur causer quelque frayeur. Il était parvenu à les rassurer, et il avait offert à la femme un mouchoir : elle lui avait donné en échange une grande feuille de palmier. Elle portait au cou un panier, en forme de bouteille, contenant des terres blanche et rouge avec lesquelles les Australiens se teignent le corps. Elle et son mari n’avaient pas toutes leurs dents : c’est la coutume d’en arracher plusieurs lors de la cérémonie du mariage ; mais les dents des quatre enfants étaient au complet. L’aîné, âgé d’environ quinze ans, portait un petit bâton à travers le cartilage de son nez. Le vieillard regardait avec une curiosité pleine de bonhomie le costume et les armes de l’officier anglais ; il exprima aussi un étonnement naïf à la vue de la barque et des rames dont les formes étaient si différentes des pirogues australiennes ou des bateaux des Malais. Le commandant eut l’idée de le conduire dans sa barque jusqu’au navire, et déjà le vieillard se prêtait à son désir, lorsque les vives prières de sa femme le retinrent au rivage. Le fils aîné allait prendre sa place, mais une troupe d’indigènes vint à passer, et l’un d’eux adressa des paroles énergiques à l’adolescent, qui se retira aussitôt près de son père. D’après la description que le commandant avait faite de cet homme, M. Fitzmaurice eut la conviction que c’était ce même sauvage qui avait excité la colère de ses compagnons contre lui et contre M. Keys.

Les indigènes australiens de cette contrée sont bien faits. Ils sont ordinairement nus et ne se ceignent les reins de branchages que lorsqu’ils vont aux endroits où ils veulent se mettre en rapport avec les Européens. Pendant les nuits les plus froides, ils se couchent sous le sable, d’où l’on est très-étonné de les voir sortir le matin. Parmi leurs instruments de musique, la narration du Beagle signale une sorte de flûte dont ils jouent avec le nez et qu’ils appellent ebroo.

E. C.


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NAUFRAGE DU LIEUTENANT KRUSENSTERN [2]

DANS LES GLACES DE LA MER DE KARA.


(VOYAGE D’EXOLORATION AUX CÔTES SEPTENTRIONALES DE LA SIBÉRIE.)
1862. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS[3].


I

Départ de Kouia. — Orage. — L’île Varandei. — L’île Dogat. — L’île Vaigatz. — Samoyèdes. — La mer de Kara. — Îles et montagnes de glaces. — Chocs. — L’Iermak et l’Embrio emprisonnés. — Dangers, épreuves. — Anniversaire de la fondation de la Russie.

Le lieutenant Krusenstern partit du village de Kouia sur la Petchora le 1er/12 août 1862. Il avait sous ses ordres la goëlette Iermak de cent cinquante tonneaux, qu’il montait, et un bateau ponté de dix-sept tonneaux, nommé l’Embrio. Avec ces deux navires armés de trente hommes d’équipage et approvisionnés pour une navigation de seize mois il allait à la recherche du fleuve sibérien Tenissei.

Il mit quatre jours à sortir de la Petchora et vérifia la marche de ses chronomètres dans la journée du 4, qu’il passa au mouillage, près de la balise qui marque l’entrée de cette rivière. Le temps était magnifique et le voyage commençait sous les plus heureux auspices. Il appareilla le soir à huit heures, ayant l’Embrio à la remorque. Dans la nuit, le vent, favorable jusque-là, passa graduellement vers l’est et se fixa au nord-est, précisément dans la direction qu’il fallait suivre. On se mit à louvoyer, et l’Embrio fut abandonné à lui-même. Le soir un courant violent qui rentrait dans la rivière força à mouiller.

Le 6, il y eut un orage, le vent d’est soufflait en rafales et des grains de pluie violente tombaient par intervalles. La température de l’air était de plus de huit degrés Réaumur ; celle de l’eau de plus de cinq degrés. Le baromètre marquait 29, 29.

Le 7, le vent souffla en tempête jusqu’à quatre heures du soir ; quoique les deux navires fussent abrités sous le cap Tcherni, la mer était si grosse que l’écume volait jusque dans la mâture.

Le 9, on appareilla. La brise avait tombé, mais elle n’avait pas changé de direction. On continua à louvoyer

  1. Discoveries in Australia with an account of the coasts and rivers explored and surveyed during the voyage of H. M. S. Beagle, in the years 1837-43, by Lork Stockes, commander, R. U. London, 1856.
  2. Ce nom est illustre dans la navigation. Le voyage d’exploration et de découverte des deux navires russes Nadeshda et Neva, commandés par le capitaine Krusenstern, a été l’un des plus remarquables et des plus utiles de tous ceux qui ont été entrepris au commencement de ce siècle.
  3. Tous les dessins de cette relation ont été composés par M. Foulquier d’après des croquis joints au manuscrit.