Page:Le Tour du monde - 08.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et devait les protéger. Il n’y avait aucun courant, la mer était parfaitement calme. Une heure plus tard, tout changea d’aspect : la marée entra rapidement par le détroit de Vaigatz, et avec elle des masses de glaces de toutes formes et de toutes grandeurs ; la pointe qui abritait les navires, contournée par le courant, le fut aussi par ces glaces qui tombèrent sur eux. Ce fut une lutte terrible où les deux équipages déployèrent une grande énergie. Une glace arrivait sur l’avant du navire, la chaîne roidissait, l’ancre chassait, les hommes poussaient avec des anspects, brisaient la glace avec des haches et des pinces. On parvenait à se débarrasser ; dix minutes plus tard, une autre île flottante les entraînait encore, elle fut de nouveau repoussée ; mais il était évident que rester à l’ancre était impossible et qu’il fallait dériver avec les glaces si on voulait ne pas être écrasé par elles. Une fois l’Embrio fut assailli par un énorme glaçon ; sa mâture se déroba sous lui, puis disparut tout à fait : on le crut perdu. L’Iermak mit sous voile ; mais la brise du sud était très-faible, et la goëlette, entraînée par le courant, s’en allait rapidement vers ces montagnes de glaces qui avaient été aperçues la veille. Une étendue libre se rencontra sur sa route, elle mouilla de nouveau, filant une grande quantité de chaînes pour pouvoir lancer d’un bord sur l’autre et éviter de cette façon les glaces qui passaient. Au jour, on vit les avaries causées par les chocs de la nuit. Le doublage en mélèze, que, pour cette campagne, on avait ajouté à la goëlette, était déchiré en beaucoup d’endroits, mais il n’y avait pas de dommage sérieux.

Samoyèdes campés sur l’île de Vaigatz.

À cinq heures du matin, la goëlette appareilla pour aller à la recherche de l’Embrio qu’on n’avait pas revu. Le lieutenant Krusenstern voulait aussi trouver un mouillage convenable, entre l’île Sokolei et la grande terre, pour y rester jusqu’au moment où le vent favorable lui permettrait de repasser le détroit de Vaigatz, dans le cas qui semblait probable où le passage par la mer de Kara serait jugé impossible. Mais la brise était molle et l’île restait à environ deux milles au vent. La goëlette entrait de plus en plus dans la mer de Kara. On espéra, mais en vain, que le courant sortirait avec la même vitesse qu’il était entré : la mer fut sans mouvement pendant quelques heures, les glaces s’arrêtèrent, puis le violent courant de la nuit reprit sa course, amenant avec lui des îles de glaces qui remplissaient tout le détroit de Vaigatz. Que faire ? Mouiller, c’était la destruction immédiate ; si la chaîne tenait, le navire devait sombrer sous l’effort de la première glace qui l’aborderait. Rester sous voile, c’était dériver de plus en plus vers cette immense banquise qui s’étendait à perte de vue de tous côtés dans la mer de Kara, et le danger qu’elle présentait, pour être plus éloigné, n’en était pas moins certain.

On aperçut tout à coup la voilure de l’Embrio qui faisait de grands efforts pour rentrer dans le détroit de Vaigatz. La brise avait un peu fraîchi. L’Iermak filait deux nœuds. Il se dirigea vers la conserve pour la secourir, si elle en avait besoin. À ce moment on vit de la mâture un canal qui semblait aller jusqu’à la grande terre au sud. L’Embrio avait un trou au-dessus de la flottaison et d’ailleurs aucune autre avarie. Comme la mer était parfaitement unie, il ne courait aucun danger pour le moment. Les deux bâtiments entrèrent dans le canal. Il devenait de plus en plus évident que le passage par la mer de Kara était impossible, et que la banquise allait s’emparer des navires, s’ils ne réussissaient à regagner le détroit de Vaigatz : c’est vers ce but qu’étaient dirigés tous leurs efforts. On pourrait ensuite tenter le passage entre la Nouvelle-Zemble et l’île de Vaigatz.

Vers onze heures, du haut de la hune de misaine, on vit l’extrémité du canal ; ce n’était point à la côte qu’il