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depuis deux ans par les rois de Siam pour y fonder une place forte où ils comptent se réfugier, si jamais les Européens, qui les fatiguent de leur bruyante activité, s’emparaient de leur capitale ; ce qui, disons-le tout bas, serait chose très-facile. Il ne faudrait pour cela qu’une poignée de nos chasseurs, zouaves ou turcos habitués au soleil d’Afrique.

Je fus d’autant mieux reçu du fonctionnaire siamois, que je n’avais à lui demander aucun service, ayant déjà engagé une barque qui retourne avec son propriétaire à Khao-Khoc sous peu de jours. J’avais eu l’intention de me rendre à Patawi ; mais en cette saison les chemins qui y mènent sont tellement impraticables, que je dus abandonner cette idée. Un grand nombre d’habitants de cette province sont originaires du Laos et sont généralement d’anciens captifs amenés de Vien-Chang après le soulèvement de cette province. Les provinces de Boatioume et de Petchaboune sont peuplées de Siamois, car le Laos proprement dit ne commence qu’à M’Lôm. Toutes ces provinces, de même que celles qui les continent à l’est et au nord, sont gouvernées par des mandarins siamois, d’un rang plus ou moins élevé, c’est-à-dire que quelques-uns d’entre eux ont droit de vie et de mort, et sont alors considérés comme vice-rois. Les provinces plus éloignées, quoique simplement tributaires, relèvent du royaume de Siam et en font intégralement partie.

La province de Petchaboune est surtout renommée pour son tabac, considéré comme le meilleur de Siam, et dont il se fait un certain commerce avec Bangkok, malgré l’extrême difficulté des communications ; car à l’époque des grandes eaux, lorsque les barques d’une certaine grandeur peuvent s’y rendre, il faut un mois de lutte pénible contre un courant qui a la force d’un torrent pour atteindre le centre de production. Dans la saison sèche, il n’y a que les barques d’une très-petite dimension qui puissent être employées à ce voyage ; car, à de fréquents intervalles, on est obligé de les traîner sur le sable ou de les transporter au delà des roches, qui forment en maints endroits des rapides obstruant la navigation. Ce commerce est, en grande partie, entre les mains des Siamois de Petchaboune, qui arrivent à Pakpriau vers la fin de la saison des pluies pour échanger ce produit contre des noix d’arec ou d’autres objets.

Kraal ou parc aux éléphants, à Ajuthia (vue extérieure). — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Les cantons nord de la province de Saraburi sont presque déserts, tandis que la partie sud, assez bien cultivée, est très-riche en riz, qui, bien que de qualité un peu intérieure à celui de Petchaburi, est considéré comme un des meilleurs du pays. C’est un objet d’échanges continuels et de transactions permanentes avec Bangkok. Quant à la population, qui est répandue d’une manière très-clair-semée sur les rives du fleuve, elle ne peut être que difficilement estimée, de même que celle de toutes les autres parties du pays.

Saohaïe est le point de départ des caravanes qui se rendent à Korat ; un autre chemin conduit de Bangkok à cette ancienne ville du Cambodge, c’est celui de Muang-Kabin, mais il n’est guère fréquenté que par les Laotiens de cette localité.

Je viens d’être interrompu par la visite inattendue du gouverneur, qui, tout en passant pour aller faire une offrande de fruits confits aux bonzes de sa pagode, s’est arrêté près d’une heure dans ma cabine. Il était dans une de ces élégantes et immenses pirogues, de plus de trente mètres de long, portant à leur centre un charmant pavillon, et pour laquelle j’aurais donné tout son château fort avec ses dépendances. Le gouverneur fit appeler le propriétaire de la barque qui doit me conduire à Khao-Khoc, et lui donna quelques instructions pour le chef de cet endroit, en ajoutant : « Je n’ai pas fait de lettre, parce que je sais que M. Mouhot n’en a pas besoin, car il y a deux ans il a su se faire respecter ici ; il