Page:Le Tour du monde - 08.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sibles ; ils continuent à aller presque nus et ont conservé un grand nombre de superstitions. Mgr de Cannos, qui avait longtemps vécu au milieu d’eux, me disait qu’ils avaient divers modes d’adoration, que le feu était un des éléments auxquels ils rendaient un culte, et que, dans quelques occasions, les jeunes filles parcouraient les villages avec une couronne de charbons ardents sur leur tête.

Les natifs de la côte de Malabar, qui armaient autrefois les hardis corsaires d’Angria, de Savagi et de Sawant-Vadi, sont presque tous pêcheurs aujourd’hui. Dès le mois de janvier, la sardine abonde sur la côte de Malabar, et des milliers d’embarcations viennent au large pour faire cette pêche. L’attitude de ces hommes, lorsqu’ils lancent leur filet en forme d’épervier, est pleine de noblesse.

Sur la côte de Canara, les pêcheurs se livrent de préférence à la pêche de fond, et leurs embarcations bien espalmées se rencontrent quelquefois à plusieurs milles au large. Un chapeau à double fond, à large bord, semblable à un vaste parasol, les préserve du soleil et rend l’aspect de leurs pirogues très-pittoresque ; ils sont fort défiants et se retirent dès qu’ils voient un grand navire.

Quelques-uns se hasardent cependant à venir offrir le produit de leur pêche aux croiseurs ou aux navires qui louvoient pour remonter la côte. Dès que le mois de mai est venu, les pêches cessent et les pirogues sont halées à terre. La belle saison recommence sur les côtes de Malabar vers le mois d’octobre. La mousson de sud-ouest fait, en général, son apparition dans la première semaine de juin et inonde de torrents de pluie toute cette côte. Les mois qui sont compris entre les mois de mai et novembre sont orageux, et les navires qui fréquentent alors ces parages sont exposés à de terribles tempêtes ; les ouragans de 1837 et 1854 firent de grands ravages dans le port de Bombay. Mais dès qu’en décembre le soleil fait un mouvement rétrograde pour venir répandre la vie dans l’hémisphère nord, les barques indiennes sortent en foule des criques où elles s’étaient réfugiées pendant l’hiver, et la côte est de nouveau sillonnée de milliers de barques non pontées qui portent à Bombay les produits les plus variés ; les unes descendent le littoral, les autres le remontent, en profitant des vents et des marées ; tout est animé, la vie circule partout.

Les barques indiennes sont, en général, gréées en tartanes ; leur avant est très-svelte, et leur arrière est chargé d’une lourde dunette qui a quelquefois deux étages et sert de logement aux armateurs ou aux négociants.

Les barques chargées de coton en sont littéralement encombrées : elles en ont dans leur cale, sur le pont ; les mâts sortent à peine de ce monceau et les voiles s’orientent comme elles peuvent ; des filets et des cordes retiennent d’autres balles sur les flancs du bâtiment, tandis que sur l’arrière on voit pendre des régimes de bananes ou des jarres remplies de beurre, quelquefois des gargoulettes vides.

Patients et sobres, les mariniers indous s’écartent peu des côtes et mouillent presque tous les soirs pour reprendre la mer dès que les brises de terre se font sentir.


III

Établissements français de la côte de Malabar. — Mahé. — Sa prospérité. — Sa rivière. — Races et religions. — Sainte Thérèse. — Saint Sébastien.

Le comptoir de Mahé, situé à la côte de Malabar, par 11° 42’8’’de latitude nord et 73° 4’10’’de longitude orientale, est la seule possession que la France ait gardée sur cette côte, car on ne peut appeler du nom de possessions les loges de Calicut et de Surate, qui se louent à des particuliers.

La petite ville de Mahé, située sur la rive gauche d’une rivière qui pénètre assez profondément dans les terres, est très-riante ; les maisons sont entourées de jardins et ensevelies au milieu de bosquets de cocotiers.

Les Aldées, qui ont été rétrocédées à la France, sont séparées de la ville, et il a été construit une route pour fréquenter ces villages. La population des deux districts réunis ne dépasse pas sept mille âmes, qui vivent sur un terrain d’environ six cents hectares. Trois mille âmes habitent la ville proprement dite, et quatre mille les Aldées. Cette population est heureuse et satisfaite de vivre sous la bannière de la France. La richesse de ces Indiens consiste en palmiers. Le gouvernement français laisse cette petite population jouir en paix du fruit de ses cocotiers, tandis que les sujets de la Grande-Bretagne, qui les entourent de tous côtés, payent au collecteur neuf roupies, c’est-à-dire près de vingt et un francs par pied de cocotier.

Mahé n’a aucun édifice public. La maison du gouverneur appartient à un riche particulier auquel on la loue pour les besoins de l’administration ; elle est vaste et située auprès de l’embarcadère, au lieu ou était autrefois une des batteries qui défendaient Mahé.

Un second fort bastionné existait au sommet de la ville et croisait ses feux avec les batteries de la mer. Il ne reste aujourd’hui que les ruines des forts que nous avions élevés à Mahé pour nous en assurer la possession.

La rivière de Mahé est obstruée par un banc qu’on peut passer à la marée haute ; l’eau devient plus profonde dès qu’on a surmonté cet obstacle, et une grande quantité de tartanes viennent s’y mettre à l’abri. L’activité commerciale de Mahé est assez considérable pour alimenter un mouvement de quarante à cinquante navires. Un pont, qui n’est pas achevé, doit mettre en rapport les deux rives de la rivière de Mahé, que l’on passe aujourd’hui en bac.

La population de Mahé se divise en trois groupes religieux : les Indous purs ont conservé les divers rites de leurs pères et se divisent en plusieurs castes, ainsi que dans toute l’Inde ; celle des Tchatrias ou guerriers prend à Mahé la dénomination de Nayrs ; elle était brave et a vaillamment combattu pour son indépendance lors de l’apparition des Portugais sur la côte de l’Inde. Les femmes nayres ont le privilége d’avoir plusieurs maris.

Lorsqu’un des Nayrs est entré chez une femme, il dépose à la porte son épée et ses sandales. Cette porte devient sacrée dès ce moment, et on n’a jamais vu qu’il se