Page:Le Tour du monde - 08.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


REVUE GÉOGRAPHIQUE,

1863
(DEUXIÈME SEMESTRE.)
PAR M. VIVIEN DE SAINT-MARTIN.
TEXTE INÉDIT.




Activité des explorations africaines. — Les sources du Nil : Vue nouvelle de la question. — Les dames touristes dans la région du fleuve Blanc. — La Nubie, l’Abyssinie, le Sahara, la Guinée. Les montagnes neigeuses de la zone orientale. — Madagascar. — Que nous vient-il de la Cochinchine ? de la Chine ? du Japon ? du Mexique ? — M. Mouhot dans le Cambodge et le pays de Siam. — Publications sur la géographie ancienne et actuelle de notre propre sol.


I


À l’heure ou nous traçons ces lignes, la relation avidement attendue du capitaine Speke n’a pas encore paru ; mais sur plusieurs points notables, des communications ont été faites à la Société de géographie de Londres qui permettent déjà d’apprécier quelques-uns des grands résultats de l’expédition. Le Tour du Monde consacrera à ce voyage mémorable la place que son importance réclame ; nous voulons seulement aujourd’hui nous arrêter à un ou deux points parmi ceux qui apportent à la géographie de l’Afrique les données les plus nouvelles, ou qui soulèvent dans la science des questions controversées.

Quelques mots d’abord sur le climat des contrées parcourues.

Les anciens, qui ont cru si longtemps qu’une zone torride absolument inhabitable formait, sous l’équateur, une infranchissable barrière entre les deux zones tempérées du globe, auraient été bien étonnés si un de leurs voyageurs avait pu leur affirmer que la température de l’Afrique équatoriale est beaucoup plus modérée et plus aisément supportable qu’un été de Rome ou de Naples ; et aujourd’hui encore, la série d’observations faites durant une année entière par MM. Speke et Grant, sous l’équateur même ou à très-peu de distance, est de nature à rectifier bien des idées populaires sur les températures équatoriales. Dans l’espace de cinq mois passés à Karagoué, à un degré et demi au sud de la ligne, du mois de décembre 1861 au mois d’avril 1862 (ce qui comprend le double passage vertical du soleil au-dessus du lac), la température oscilla entre vingt-cinq et vingt-neuf degrés du thermomètre centigrade, et atteignit une seule fois vingt-neuf degrés et demi. Les nuits apportaient invariablement une impression de fraîcheur. À neuf heures du soir, le thermomètre se maintenait entre seize et vingt-deux degrés, et l’heure la plus froide de la nuit entre quatorze et dix-huit degrés. Une constitution européenne s’accommoderait admirablement d’un pareil climat, qu’explique suffisamment l’élévation de la contrée au-dessus du niveau de la mer. On sait combien la hauteur du plateau ibérique, qui n’est cependant que de six cents mètres, influe sur la température de la Castille et de Madrid ; or, l’altitude de la localité où ont été suivies ces observations thermométriques de nos deux voyageurs africains est au moins de neuf cent cinquante mètres.

Ce qui convient moins à l’Européen, c’est la continuité presque incessante des pluies. La division si nettement tranchée d’une saison sèche et d’une saison pluvieuse aux approches des tropiques n’existe plus à proximité de l’équateur. La saison pluvieuse, c’est l’année tout entière. Il n’y a pas de mois sans pluie ; seulement il y a des mois plus constamment pluvieux, d’autres moins. Les mois qui comptent le plus grand nombre de jours de pluie sont avril et mai, octobre et novembre, c’est-à-dire les deux époques de l’année où le soleil plane à pic sur les contrées voisines de la ligne des équinoxes. Au total, le relevé d’une année donne deux cent quarante jours, ou huit mois pleins, de pluies plus ou moins violentes.

Ce qui fait bien sentir l’influence prédominante de l’élévation du pays sur sa température, c’est qu’à mesure que, descendant des hauteurs du plateau du Nyanza, on s’éloigne de l’équateur, en suivant la large vallée où les eaux du lac s’écoulent vers le nord, le thermomètre s’élève de plus en plus. À Gondokoro (altitude, six cent vingt-huit mètres), la température des mois de février et de mars oscille non plus entre vingt-cinq et vingt-neuf degrés, comme au Nyanza, mais entre trente-trois et trente-neuf. À Khartoum, par quinze degrés et demi de latitude nord, les chaleurs extrêmes de l’été dépassent quarante-cinq degrés.

Un des grands services que le capitaine Speke aura rendus à la géographie de cette région de l’Afrique, est d’avoir enfin fixé d’une manière certaine, par de bonnes observations de latitude et de longitude, la position de ce point de Gondokoro sur laquelle régnait une étrange incertitude. Gondokoro est un établissement fondé en 1850, sur la rive droite du fleuve Blanc, par les missionnaires catholiques d’Autriche, à quelques heures du village intérieur de Bélénia, où réside le chef des Bari, une des plus fortes peuplades de ces cantons. Jusqu’à ces derniers temps, la station de Gondokoro était