Page:Le Tour du monde - 08.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Assurément non. Les deux courageux explorateurs ont traversé de part en part une région centrale où nul Européen avant eux n’avait pénétré. Ils ont vu les premiers la région mystérieuse où le fleuve d’Égypte a son origine ; ils en ont aplani la route à ceux qui viendront après eux. Là sont la gloire du voyage et l’éternel honneur de leur nom. Mais la source du fleuve, ils ne l’ont ni cherchée ni découverte.

Je dirai plus : à certains égards cette recherche eût été prématurée.

N’oublions pas ce qu’est le Nil dans la partie extrême de son bassin, où se trouvent ses origines.

Ce n’est plus, comme en Nubie et en Égypte, un canal unique contenu dans une vallée sans affluents ; c’est un vaste réseau de branches convergentes venant de l’est, du sud et du sud-ouest, et toutes ensemble se déployant probablement en un immense éventail qui embrasse peut-être la moitié de la largeur de l’Afrique sous l’équateur. Quelle sera, parmi ces branches supérieures, celle que l’on devra considérer comme la branche mère ? là est la question. Il est de fait que l’opinion locale, — et nous avons sur ce point des témoignages fort anciens, — a toujours regardé notre fleuve Blanc, la Bahr el-Abyad des Arabes, comme le corps principal du fleuve ; mais en admettant cette notion comme physiquement exacte, et nous la croyons telle, il reste encore à constater, par des reconnaissances directes, l’importance respective des branches supérieures dont se forme le Bahr el-Abyad. C’est alors qu’il sera possible de se prononcer en connaissance de cause sur la question du Caput Nili.

Ce n’est pas au hasard, ni avec précipitation, qu’un tel problème, soulevé depuis tant de siècles, doit être résolu. Puisque la solution a été réservée à notre âge, elle doit avoir un caractère rationnel et scientifique. Elle doit être basée uniquement sur la raison physique.

Je m’explique.

Si incomplète que soit encore en ce moment notre connaissance des parties intérieures de l’Afrique australe, et en particulier de la zone qui s’étend presque d’une mer à l’autre, sur une largeur de plusieurs degrés, aux deux côtés de l’équateur, les explorations récentes du Dr Livingstone dans le sud, du Dr Barth au nord-ouest, et de MM. Burton et Speke dans la région des grands lacs, sans parler des reconnaissances mêmes du Bahr el-Abyad et de quelques-uns de ses tributaires, suffisent déjà pour mettre en évidence ce fait très-important, que l’origine de tous les grands fleuves de l’Afrique, le Zambézé, le Binoué, le Chari, aussi bien que le Nil, converge vers la zone équatoriale.

Cette disposition est un trait caractéristique de la configuration africaine. Les détails nous sont encore inconnus, mais nous pouvons nous rendre compte de l’ensemble. La conséquence évidente, c’est que cette zone centrale, d’où rayonnent tous les grands cours d’eau qui vont aboutir aux trois mers environnantes, est la partie la plus élevée du continent. Il doit y avoir là un système d’alpes africaines, dont les pics neigeux du Kénia et du Kilimandjaro, au-dessus des plages du Zanguebar, et les groupes de montagnes élevées aperçus par le capitaine Speke à l’ouest du Nyanza, nous donnent une première idée.

Or, c’est une loi générale des pays d’alpes, qu’il s’y trouve un nœud, un massif culminant, d’où sortent les plus grands cours d’eau dans toutes les directions. J’en ai cité tout à l’heure un exemple pour nos Alpes d’Europe ; il est présumable qu’il doit y avoir quelque chose d’analogue en Afrique. Je ne dis pas que cela soit nécessairement ; je dis que cela est présumable. C’est un beau champ d’investigations ouvert aux explorateurs.

Une conséquence naturelle se tire de ces considérations : c’est que s’il existe en effet, comme tout l’indique, un massif culminant au cœur de la zone équatoriale analogue au massif du Saint-Gothard dans les Alpes helvétiques, celle des branches dont se forme le fleuve Blanc qui sortirait de ce massif devrait être regardée, à l’exclusion de toutes les autres, comme la vraie tête du Nil.

Ceci éloigne tout arbitraire et coupe court à toute controverse.


III

C’est une chose bien remarquable que l’ardeur d’investigation qui s’est déployée dans ces derniers temps sur une terre où le pied d’un Européen ne s’était jamais posé avant 1840. La dévorante activité de notre génération aura fait en vingt-cinq ans ce qui avait défié les efforts de vingt-cinq siècles. Cette ardeur va s’accroître encore par l’heureuse issue de l’expédition anglaise, en même temps que le champ d’explorations se sera immensément agrandi. Le voyage du capitaine Speke est de ceux qui donnent aux entreprises scientifiques une puissante impulsion.

Déjà l’influence s’en fait sentir, et de prochaines entreprises se préparent. En attendant, le haut Nil nous offre le spectacle peu ordinaire de voyageurs dilettantes, de ceux qu’on était habitué à voir suivre les sentiers depuis longtemps battus, organiser à grands frais des courses dirigées vers les parties les plus sauvages et les moins connues de ces contrées nouvelles ; et ce qui rend le fait plus singulier, c’est que ce spectacle nous est donné par des femmes, des femmes d’une très-haute position. J’ai déjà fait, il y a six mois, quelque allusion à ce voyage ; je puis aujourd’hui en faire connaître la suite et entrer dans un peu plus de détails.

Nos héroïnes sont des Hollandaises, et c’est la plus jeune, assure-t-on, Mlle Alexandrina Tinné, qui est l’âme de ces courses aventureuses. Sa mère et sa tante, qui l’accompagnent, sont les filles de l’amiral Van Capellen, et l’une d’elles est attachée comme dame d’honneur à la maison de la reine de Hollande. Entraînées par l’insatiable ardeur de miss Alexandrina (son père est Anglais), ces dames ont déjà parcouru à plusieurs reprises l’Égypte et la région des cataractes. Elles ont tenté de remonter le cours inexploré du Sobat (le premier affluent du Nil en venant de Khartoum), qu’elles représentent comme un courant médiocre, si ce n’est au