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uns entrent, les autres sortent. Les vapeurs sillonnent de tous côtés la mer, leur noir panache flotte et serpente à tous les points de l’horizon. Les hauts sommets des Ghâtes s’abaissent avant d’arriver près de la ville et quelques îles basses bordent seules la côte, dont le relief n’est apparent que de trente milles.

La rivière de Bombay s’est frayé une route au milieu de la dislocation de ces terrains. Quelques pics aigus accusent encore le cataclysme qui a dû permettre à ce vaste estuaire de pénétrer aussi profondément dans les terres. Plusieurs îles et un grand nombre de rochers attestent l’ancien état des lieux. La ville de Bombay s’étend sur deux de ces îles et n’est séparée de l’île de Salsette que par un étroit bras de mer.

Un phare d’une portée considérable éclaire la nuit l’entrée de la rivière oblitérée par les bancs madréporiques qui s’étendent au large de l’île de l’Old Woman (la vieille femme) sur laquelle est bâti le fort. Les récifs nommés prongs s’étendent à environ 4 milles de terre, et il serait difficile de les reconnaître si un bateau porte-feu peint en rouge et des bouées n’en signalaient les approches pendant la nuit et même pendant le jour.

Le bateau-feu signale tous les navires qui donnent dans les passes ; un coup de canon en part chaque fois qu’un bâtiment fait route sur Bombay.

Ce bateau-feu sert ordinairement de station aux pilotes. Dès que les bâtiments se présentent, ils sont rejoints par la chaloupe qui les porte.

Les chaloupes sont peintes en rouge ; elles sont fortement construites, afin qu’elles puissent résister aux grosses lames de la mousson du sud-ouest ; elles ont une espèce de passavant qui leur permet de recevoir la mer sans être submergées.

Deux voiles latines complètent leur gréement, et leur équipage se compose d’hommes robustes dont la figure est ornée d’une forte barbe et la tête couverte d’un vaste turban.

La race qui armait les corsaires des Angrias et des Savaji se retrouve encore sur toute cette côte ; elle est de haute taille et a des muscles athlétiques ; les chaloupiers des pilotes paraissent appartenir à cette race hardie.

À quelque heure que l’on arrive dans le port de Bombay, on est assailli par les embarcations des Parsis ; elles portent des courtiers qui viennent offrir leurs services, l’usage étant que les navires qui visitent Bombay prennent des intermédiaires pour faire toutes leurs transactions ; ces intermédiaires prennent le nom de daubachis ; sans leurs services il serait vraiment impossible de s’entendre dans cette Babel où viennent se croiser toutes les races de la terre.

Les daubachis sont probes et actifs. Celui qui fait les affaires des navires de guerre français Edulgie Manackgie et Rostonjie, est un modèle dans son genre, et, grâce à lui, les provisions arrivent à bord comme par enchantement.

Un môle que l’on nomme le bonder (ou port) sert aux embarquements et aux débarquements des passagers et des officiers qui fréquentent la ville. Les bâtiments sont mouillés sur quatre ou cinq files entre le quai et le port de guerre ; les vapeurs de guerre sont en général en aval des navires de commerce, et prêts à prendre leur défense, si le cas était nécessaire.

Les bâtiments à vapeur qui font les courriers, après avoir mis à terre leurs passagers, remontent jusqu’à Mazaghan où est l’arsenal de la Compagnie péninsulaire et orientale. Cet arsenal a des bassins de carénage où les vapeurs peuvent visiter leur coque et faire les réparations que nécessite leur navigation active.

Le bonder sert de station aux chaloupes dites bonderboats qui sont munies d’une voile et ont en arrière un carrosse fermé qui met les passagers à l’abri de la pluie et des rayons brûlants du soleil.

Dès que l’on a mis le pied à terre, on monte en voiture ou dans un véhicule plus modeste. Il est à peine permis à la dignité d’un Européen de se promener à pied dans l’Inde.

Toute la population vaque à ses affaires avec ardeur ; les portefaix chargent sur leurs robustes épaules les fardeaux qu’ils portent des chaloupes aux magasins ou des magasins aux chaloupes, et le spectacle le moins extraordinaire n’est pas de voir un Indien ruisselant de sueur rouler un bloc de glace de plusieurs quintaux et l’enlever rapidement jusqu’à la glacière.

Grâce à l’abondance de la glace, personne à Bombay ne se prive de rafraîchir son breuvage. La marine des États-Unis d’Amérique approvisionne le monde entier de cette denrée qui est devenue un besoin du premier ordre dans l’Inde anglaise.

La ville murée ne contient à Bombay que les bureaux des négociants et le port de guerre : des artisans de toute espèce et des magasins de tout genre occupent le rez-de-chaussée des maisons qui sont en général assez petites.

Une vaste plaine, qui forme les glacis de la place, sépare la ville fortifiée de ce que l’on appelle la ville Noire. Cette ville Noire est habitée par six ou sept cent mille individus. Les fabricants y ont leurs ateliers, et d’immenses piles de matières emplissent les magasins qui s’ouvrent sur les rues.

L’imagination indoue s’est donné un peu plus de carrière dans la construction des maisons de la ville Noire que celle des Anglais dans les constructions qu’ils ont enveloppées de murailles. Plusieurs temples, pagodes ou mosquées méritent d’y être remarqués. Tous les cultes, comme toutes les couleurs, se coudoient à Bombay ; et, chose remarquable, chacun paraît accomplir les rites de sa religion avec une tranquillité parfaite.

Les églises chrétiennes y sont petites et peu faites pour donner une haute idée de notre culte.

Les Anglais ont installé dans le port une chapelle flottante où les marins assistent aux offices. Les matelots français assistent à la messe qui est dite tous les dimanches par un prêtre catholique à bord d’un des navires en rade.

Dès que l’on a dépassé la ville Noire, on se trouve au milieu de jardins sans fin, et l’on admire l’esprit de charité universelle qui a ouvert un asile aux hommes dé-