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Page:Le Tour du monde - 08.djvu/69

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rière ne trouvèrent pas de point d’appui et le cheval alla avec sa maîtresse rouler au fond du gouffre dans le trou de Créfal, excavation de la Bode. Quand les eaux sont basses on découvre quelquefois, dit-on, la couronne de la princesse, toujours vivante et debout au fond de la rivière. On raconte qu’un jour quarante bûcherons se trouvant réunis en cet endroit, l’un d’eux voulut tenter de tirer la princesse hors de l’eau ; il plongea à plusieurs reprises pour la ramener à la surface, mais chaque fois un courant impétueux le forçait de s’éloigner ; à la troisième tentative, il était près de réussir, lorsque tout à coup il disparut dans les flots, entraîné par une main invisible. Quelques instants après les spectateurs virent avec effroi un jet de sang sortir des ondes. La princesse en sacrifiant une victime exprimait sa volonté qu’on ne troublât plus le lieu de sa sépulture. Les paysans s’enfuirent épouvantés, et aujourd’hui encore ils font un détour pour éviter cet endroit maudit. L’imagination aidant on retrouve sur le rocher l’empreinte du pied du cheval.

Pour descendre dans la vallée, le rocher est pour ainsi dire à pic ; on y arrive par un escalier, si l’on peut appeler ainsi un amas de pierres jetées les unes au-dessus des autres ; un étroit sentier conduit au Pont du Diable. Un peu au delà l’encaissement des rochers devient des plus sauvages, surtout en suivant le chemin des Chèvres sur lequel il est bon de ne pas s’aventurer si l’on est sujet au vertige.

Église souterraine du château de Quedimbourg (voy. p. 67).

En repassant la Bode, on trouve un coin très-remarquable appelé la Vallée des Sorcières ; on y arrive en sautant sur les rochers qui sortent du lit de la rivière : cet exercice très-fatigant oblige aussi à de grandes précautions si l’on ne veut pas s’exposer à glisser sur ces pierres polies par le courant de l’eau. Généralement peu de touristes se hasardent à satisfaire leur curiosité à ce prix.

La vallée est très-resserrée, et en certains endroits il semble que la rivière n’ait plus d’issue ; les rochers qui sortent de la montagne prennent les formes les plus fantastiques. On croit y voir des figures colossales, les unes couchées, les autres debout. Ces masses énormes ont chacune leur histoire imaginaire. Tout dans ce pays est sujet de légende, et il n’est pas étonnant que les paysans du Harz, qui s’entretiennent constamment de ces fabuleuses histoires, soient superstitieux et inquiets lorsqu’il s’agit des Hexen ou du diable en personne.

Un escalier d’environ douze cents marches conduit à l’Hexen-tanz-platz (plateau de la danse des sorcières (voy. p. 61). À moitié chemin de la montagne, je me reposai sur un des rochers qui surplombent la vallée ; un calme parfait régnait au loin, et, chose bizarre, le bruit de l’eau qui arrivait jusqu’à moi me produisait l’impression d’une harmonie parfaite. J’écoutais attentivement, et il me semblait que le son d’un instrument se mêlait au bouillonnement de l’eau ; ce que je croyais entendre était un chef-d’œuvre d’orchestration. Plus tard, en rencontrant dans la montagne des chèvres ayant au cou des clochettes qui se balançaient à chacun de leurs mouvements, j’eus l’explication de cette symphonie imaginaire.

J’arrivai le soir à Thale. La journée avait été bonne et elle comptera parmi les meilleures de mon voyage.