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À l’âge de vingt-cinq à trente ans, il obtient ordinairement un régulat, ou gouvernement, et alors il quitte Yoûen-ming-yoûen pour venir à Pékin. Chaque quartier de cette ville est décoré de grands palais pour les princes ou rois vassaux de l’empire, et beaucoup de ces édifices ont été élevés sous la dynastie précédente. Ces régules avec tout leur monde sont en état d’arrêter des émeutes et de faire éteindre les incendies[1] ; ils volent au feu les premiers, surtout quand il est dans l’enceinte du palais.

« J’ai encore à vous parler de Ouan-cheou-chan « la nouvelle montagne aux dix mille longévités » qui est un des plus jolis endroits de la Chine ; il est presque contigu à Yoûen-ming-yoûen, n’en étant séparé que par une chaussée, et il présente une montagne détachée de cette chaîne immense d’autres montagnes, qui commençant à soixante-dix lieues d’ici, sur les bords de notre mer orientale, va se terminer aux confins de l’Europe, ou peut s’en faut.

« Young-tching (père de Lhien-loung et fils de Khang-hi) a orné cette montagne de quantités de beaux bâtiments chinois ; il y en a de différentes hauteurs. La cime est couronnée d’un palais superbe qui se voit de plusieurs lieues. Au bas de cette montagne, du côté du midi, il y a une nappe d’eau, de l’étendue de près d’un quart de lieue ; elle baigne en partie une terrasse par laquelle finit le pied de la montagne. Au milieu des eaux s’élèvent je ne sais combien de bâtiments chinois de toutes formes. On tient sur cette espèce de lac des barques magnifiquement décorées, semblables à de petits vaisseaux ; elles donnent quelquefois le spectacle d’un combat naval. L’empereur régnant (Khien-loung) aime beaucoup ce site ; il avait envie d’en faire sa maison de plaisance ; mais l’étiquette et la coutume, qui ont tant d’empire sur l’esprit des Chinois, se sont opposées à son goût et à son désir. Un empereur doit lui-même bâtir son palais, et il ne peut demeurer dans aucun de ceux qu’ont habités ses prédécesseurs. » (Essai sur l’architecture des Chinois, etc., pages 64 et suiv. Paris, 1803. Cet ouvrage de M. de Latour n’a été tiré qu’à trente exemplaires.)

L’auteur des Temples anciens et modernes a donné (Essais sur l’architecture des Chinois, p. 173 et suiv.), une description de ces vingt planches gravées en Chine, des palais à l’européenne. Nous croyons devoir rapporter ici l’extrait suivant de la description de la Planche X qui est celle de notre page 111. Cette même planche a pour titre sur sa gravure originale, et en chinois : Haï-an thâng tching-mién ; c’est-à-dire : « Façade méridionale du petit palais de la mer sereine. »

— « Bâtiment à dix fenêtres de face, composé d’un avant-corps au milieu avec attique, et de deux bâtiments aussi en avant-corps aux extrémités. Ces trois parties de la façade sont décorées de pilastres, et de deux colonnes qui flanquent la porte d’entrée. Cette porte s’ouvre au dehors sur un palier d’où partent à droite et à gauche deux escaliers, dont les divers contours viennent se terminer à une cour ou à un jardin.

« Des deux côtés de chaque escalier règne une suite de jets d’eau qui s’élancent de vases placés sur les rampes, et suivant leurs contours. Ils produisent le même effet que les jets d’eau qui bordent la cascade de Saint-Cloud, ou ceux du perron qui, à Versailles, conduit de la pièce du Dragon à la terrasse. Toutes ces eaux viennent se rassembler dans un bassin de forme triangulaire.

« Sur deux des côtés du triangle, sont placés douze animaux de différentes espèces, six de chaque côté. Ce sont ces animaux qui donnent au bassin la dénomination d’horloge d’eau, parce que, à chaque heure du jour, et selon le nombre des heures, ces animaux lancent par la gueule des gerbes d’eau qui retombent paraboliquement au centre du bassin.

« Au sommet du triangle tourné vers le palais est un groupe de rochers surmontés d’une vaste coquille d’où sort encore un jet d’eau ; il en tombe aussi en cascades de toutes les parties du groupe de rochers. Enfin, vis-à-vis de ce groupe, et à la base du triangle, est la plus grosse gerbe d’eau, qui prend naissance dans un grand vase élevé au-dessus du niveau du bassin. Ce bassin est accompagné a droite et à gauche, de deux espèces de pyramides, d’une composition si bizarre, qu’il n’est pas possible d’en donner l’idée et la description. On omet ici bien des accessoires qu’un œil un peu exercé pourra saisir, mais que la plume ne saurait rendre. »

Le P. Benoist, missionnaire français, qui était le directeur des constructions hydrauliques dont il vient d’être question, écrivait de Chine en 1752 : « J’ai fait cette année une conduite d’eau dans la chambre même que l’empereur occupe pendant les grandes chaleurs de l’été ; ce prince a fait disposer vis-à-vis de son lit de repos une espèce de cour, dont le toit, construit en nacre de perles transparentes, laisse pénétrer la lumière de telle sorte que l’on ne s’aperçoit pas que cette pièce hors d’œuvre soit couverte. Au fond on a élevé un monticule, où sont faits en différents petits paysages, des palais, maisons de plaisance et moulins à battre le riz ; toute cette scène champêtre est animée par plusieurs jets d’eau, cascades, et autres jeux hydrauliques propres à récréer la vue, à donner de la variété et un air de fraîcheur à ce monticule dont l’effet est pittoresque. »

Et dans une autre lettre, en date de 1754, il disait :

« Je suis encore occupé de machines hydrauliques pour l’empereur. Actuellement nous en posons une dans l’intérieur du palais. Elle doit porter l’eau autour d’un trône du prince par différents circuits et dans des canaux de marbre. Tout ce qu’on ne ferait en Europe qu’en plomb, en fer fondu, ou même en bois, se fait ici en cuivre ; et ce qui coûterait dix pistoles en France revient à l’empereur à plus de dix mille livres. Jugez de la dépense sans qu’on puisse, à cause de la trop prompte exécution, assurer la solidité des travaux. »

  1. C’est Khoubilaï-Khaân, qui, lorsqu’il se fut rendu maître de la Chine, en 1620, et qu’il eut fixé à Pékin sa résidence d’hiver, établit cette organisation dirigée principalement contre les émeutes ou soulèvements de la population.