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V.

C’est dans cette résidence d’été que l’empereur Khien-loung reçut, en 1793, lord Macartney, ambassadeur d’Angleterre, et en 1795, l’ambassade hollandaise, don Van Braam a publié la relation[1]. Voici comment s’exprime ce dernier (t. I, p. 220 et suiv.) : « Après avoir marché un quart d’heure le long du grand chemin, nous sommes parvenus à un vaste et magnifique palais, au devant duquel est une place très-considérable. Sur chacun des côtés de cette place est une cour pavée et assez spacieuse qui correspond à une des ailes du bâtiment. Ces ailes semblent destinées à loger les officiers de la cour, et les mandarins inférieurs. Deux piédestaux de marbre blanc, placés dans les cours, portent deux très-grands lions de bronze, et qui peuvent passer pour être bien exécutés par l’artiste, parce qu’ils le sont d’après l’idée que les Chinois se forment de cet animal, inconnu à leur pays.

« Le premier salon, placé au levant du bâtiment est fort grand, et garni de beaucoup de lanternes à la chinoise. À son milieu est une estrade et un fauteuil, ce qui constitue le trône impérial[2]. Après avoir traversé ce salon nous nous sommes trouvés sur une cour intérieure pavée et de forme carrée. Au nord et à l’ouest elle offre, dans les bâtiments qui la bordent, une vue aussi belle et aussi riche que celle de la façade de l’est par laquelle nous étions arrivés : tandis que le côté sud n’a que la grande porte d’entrée et, à chacun de ses côtés, des logements de domestiques.

« Intérieurement à cette porte qui correspond à la façade du nord, et comme pour la couvrir, est un rocher considérable, placé sur une base de pierres. Le transport de ce rocher doit avoir occasionné une peine et un travail immense, ainsi que l’opération de le mettre sur sa base, car il forme une masse prodigieuse par son volume et par sa pesanteur. Des inscriptions de la main de l’empereur et de celles de plusieurs autres personnages du plus haut rang, à l’imitation du prince, décorent ce rocher de toute part. Dans quelques points on y a mis de petits arbres et des fleurs.

« Cette cour montre, au milieu de la façade septentrionale, deux petits cerfs et deux grues de bronze dont l’exécution est médiocre. Le bâtiment au nord renferme un salon d’audience impériale, ayant un trône au centre, et des lanternes à tous les points. Notre conducteur nous a fait remarquer du côté gauche du trône contre la muraille, le carrosse dont lord Macartney a fait présent à l’empereur l’année dernière[3]. Il est peint avec une grande délicatesse, parfaitement verni, et tout le train en est doré ; les harnais et le reste de l’équipage sont dans le coffre même de la voiture que recouvre une grande chemise de toile. J’aperçus avec surprise, vis-à-vis du carrosse et du côté opposé du salon, une chose qui contrastait fort avec cette voiture, c’est-à-dire un chariot chinois à quatre roues égales, fort commun, peint en vert, et ayant en tout la forme des chariots avec lesquels on va chercher du fumier en Hollande.

« J’avoue que ce spectacle fit travailler mon imagination. Avait-on placé ce chariot en ce lieu comme un sujet de critique, en voulant opposer l’idée de son utilité à celle de la superfluité d’une voiture somptueuse, du moins quant à la Chine ? Je me livrais ainsi aux conjectures lorsqu’on m’apprit que ce chariot est celui dont on fait usage lors de la cérémonie annuelle où l’empereur rend un hommage solennel à l’agriculture dans le temple de la Terre.

« En traversant de petits appartements qui se trouvent derrière ce salon nous avons gagné le troisième corps de logis, ou bâtiment de l’ouest, qui a seulement un petit salon à son milieu. Le surplus est composé d’un grand nombre de pièces resserrées, très-irrégulières et ouvrant l’une dans l’autre, ce qui semble en faire un labyrinthe.

« Lorsque nous les eûmes toutes considérées, le mandarin nous introduisit dans le cabinet favori de l’empereur, portant le nom de Tien (le Ciel). C’est réellement le lieu le plus agréable de tous ceux qu’on nous a montrés, tant à cause de sa situation que par les différents aspects qu’il fait découvrir. Rien n’égale la perspective dont l’empereur peut y jouir, car ce cabinet est dans une partie du bâtiment placé sur un lac fort étendu qui en baigne les murs. Ce lac a été le premier objet qui ait attiré nos regards. À son milieu est une île assez grande sur laquelle on construit plusieurs bâtiments qui dépendent de ce séjour impérial, et qu’ombragent de gros arbres. Cette île communique au continent qui l’avoisine, par un superbe pont de dix-sept arches, fait de pierres de taille et placé à l’est.

« En tournant vers l’ouest, l’œil découvre un lac plus petit que le premier, dont il n’est séparé que par une large avenue. Au milieu du second lac est une espèce de citadelle de forme ronde, et au centre de laquelle est un bel édifice. Une ouverture pratiquée dans un point de l’avenue qui partage les deux lacs, fait communiquer les eaux, tandis qu’un pont de pierres, d’une hauteur considérable et d’une seule arche, supplée à ce que cette ouverture ôte à la communication terrestre.

« Encore plus à l’ouest et à une grande distance, deux tours arrêtent la vue au-dessus de hautes montagnes.

« Enfin au nord-ouest s’offre une magnifique suite d’édifices appartenant à des temples construits au pied, au milieu et au sommet d’une montagne entièrement formée par l’art, avec des fragments de rochers naturels ; ce qui, indépendamment de la dépense des bâtiments, doit avoir énormément coûté, puisque ce genre de rocher ne se trouve qu’à de grandes distances de ce lieu. Ce travail semble même retracer l’entreprise des géants qui voulaient escalader les cieux.

« L’intérieur du cabinet de l’empereur est orné par

  1. Voyage de l’ambassade de La Compagnie des Indes orientales hollandaises vers L’empereur de Chine. En français. Philadelphie, 1797 et 1798, 2 vol. in-4o.
  2. Le trône a été figuré dans la relation de lord Macartney.
  3. Le général Montauban, dans son « Rapport au ministre de la guerre » du 12 octobre 1860, dit avoir vu ce carrosse tout couvert de poussière.