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Disons donc un adieu définitif à l’Apurimac et, satisfaits d’avoir correctement levé son cours, ne nous occupons pas plus longtemps des prétendus services qu’il est appelé à rendre dans l’avenir, aux négociants en quinquina et en salsepareille.

Durant toute la matinée, nous naviguâmes au milieu d’un véritable archipel formé par des amas de sable et de cailloux qui divisaient en une multitude de canaux, la rivière fort large à cet endroit, mais sans profondeur. Plusieurs fois il nous arriva de nous mettre à l’eau pour alléger notre pirogue dont la coque froissait avec un bruit rauque les cailloux du fond ; d’énormes troncs d’arbres, tombés de l’une ou l’autre rive, étaient venus, poussés par le courant, s’échouer à l’entrée des canaux et en rendaient la navigation sinon périlleuse, du moins très-fatigante.

À midi nous dépassions le dernier îlot pierreux de cet archipel, auquel succédait une île boisée dont l’extrémité s’allait perdre derrière une courbe de la rivière. Un soleil de feu dardait ses rayons sur nos têtes. L’Apu-Paro semblait rouler des flots d’argent liquide et nos yeux éblouis cherchaient sur sa surface lumineuse, le sillage, hélas ! effacé, des pirogues de nos compagnons. À l’inquiétude de n’avoir découvert encore aucune de leurs traces, se joignaient les sollicitations de plus en plus pressantes de notre estomac, leurré plutôt que satisfait par les sardines de la veille, et demandant de ce ton brutal qui n’appartient qu’à lui, une nourriture solide.

Gynerium saccharoïdes.

Comme nous approchions de l’île boisée que nos Chotaquiros appelaient Sauta-Rosa, d’effroyables cris retentirent dans les fourrés. Une douzaine d’indigènes qui guettaient apparemment notre arrivée, à en juger par la satisfaction que témoignèrent nos rameurs en les apercevant, se jetèrent dans une pirogue qui vola sous l’effort de leurs rames et vinrent nous prendre à la remorque. En quelques minutes, nous eûmes atteint la partie de l’île où nos compagnons avaient trouvé depuis la veille, bon souper, bon gîte et nombre de gens avides de couteaux et hameçons.

L’accueil que nous fit la population de cette île qui comptait soixante et une personnes y compris les femmes et les enfants, fut aussi empressé que celui du comte de la Blanche-Épine fut superbement dédaigneux. À peine ce noble monsieur nous eut-il aperçus qu’il pivota sur ses talons et nous tourna le dos, comme si nous eussions apporté quelque épidémie. De sa façon d’agir, j’augurai que notre absence prolongée avait dû l’intriguer, puis l’inquiéter, et qu’il en avait tiré la conclusion logique que nous ne nous étions arrêtés en chemin que pour machiner un complot ténébreux contre sa personne. Des insinuations vagues de l’aide-naturaliste faisant fonctions de secrétaire, nous confirmèrent dans notre opinion.

L’idée que le chef de la commission française avait pu nous prendre pour des conspirateurs, aiguisant dans l’ombre leurs couteaux de pacotille à défaut du poignard classique, ne nous empêcha pas de fêter le poisson bouilli à l’eau et sans sel ni poivre, qu’on nous servit avec quelques racines. Chacun plongeant la main dans

    duisent à la ville de Huanuco, et de celle-ci, au cœur de la Sierra. Les missionnaires du collége d’Ocopa, qui vont et viennent de ce séminaire aux missions de Sarayacu et de Tierra-Blanca, sur l’Ucayali, donnent à cet égard des renseignements précis. « Du cerro de Pasco, distant de Lima de trente lieues, disent-ils, on compte quinze lieues jusqu’à la rivière Mayro et quatorze lieues de cette rivière à l’ancienne mission du Pozuzo : total, vingt-neuf lieues. En ouvrant un chemin du Mayro au Pozuzo et jetant un pont sur cette dernière rivière, on éviterait de faire un détour par la cité de Huanuco et l’on abrégerait de quarante-neuf lieues le voyage d’Ocopa à Sarayacu. »