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Betanimènes, tribu révoltée qui gagna cette épithète par sa honteuse défaite sur la langue de terre que nous avons doublée. Betanimènes vient de be (beaucoup), tani (terre) et mène (rouge), parce que la tribu en question, battue et acculée sur cette pointe, se rendit aux vainqueurs qui, par dérision, se bornèrent à lui lancer des boulettes de terre rouge avec leurs sarbacanes, les couvrant ainsi de fange et de honte. »

Cette petite anecdote me fit comprendre pourquoi il y avait si peu de Betanimènes et tant de Betzimisaracks ; nous ne sommes pas les seuls à n’accepter d’héritage que sous bénéfice d’inventaire.

Cependant nous avions laissé derrière nous la rivière d’Yvondrou pour entrer dans les canaux qui mènent aux lacs ; la végétation de ces terres marécageuses ne se compose que de ravenals, de raffias et de sauges gigantesques qui forment le long du rivage une ligne continue de sombre verdure ; sur la gauche, la mer brise avec violence, et, sur la droite, les terres plus élevées du second plan sont couvertes de forêts magnifiques.

Pileuses de riz. — Dessin de G. Staal.

Effrayés par les chants de nos rameurs, des canards de toutes nuances s’élèvent à l’avant des pirogues ; des poules d’eau glissent dans les joncs, et des couples criards de perroquets noirs passent rapides, se dirigeant vers les bois. Il n’y a dans cette nature rien du grandiose qui saisit l’âme, et les rivages américains ont plus de grandeur et de majesté. Cependant, la nouveauté de cette végétation bizarre, presque toute herbacée, excite une sorte d’admiration curieuse ; les chants madécasses de nos pagayeurs, le frôlement de la pirogue au milieu des champs de tantamo (nénufar), les larges fleurs jaunes et blanches émaillant les eaux, les cris joyeux et le vol léger du vorontsaranony, petit martin-pêcheur de la taille du colibri, et, comme lui, émeraude et saphir, jettent sur ce paysage monotone un voile de poésie sauvage qui s’étend jusqu’à nous.

Nous devions bientôt arriver à Ambavarono (bouche de l’eau) ; c’est un petit village placé sur une éminence, à l’entrée du lac de Nossi-Be (lac des îles), de nossi (île) et be (beaucoup).

L’une des pirogues nous avait précédés et devait annoncer notre arrivée ; aussi trouvâmes-nous le village tout en mouvement ; on déménageait à la hâte une case pour nous la donner. Elle fut prête en peu d’instants, et nous nous y installâmes.

Les chefs du village vinrent alors nous souhaiter la bienvenue ; deux ou trois femmes les accompagnaient, et chacune d’elles portait, sur des feuilles de ravenal, du riz blanc comme la neige et quelques douzaines de poissons. Tout le monde s’assit, la petite cabane était pleine, et nous allions assister à notre premier kabar. (On appelle kabar toute réunion quelconque ayant pour but de causer, délibérer ou recevoir ; rien ne se fait à