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dans une petite boîte : deux d’entre elles étaient les père et mère de la jeune famille issue de cet heureux hymen.

Il résulte des renseignements que j’ai pu recueillir à ce sujet que les Indiens et les Chinois possèdent une espèce de perles, tout semblable à celle des perles fines ; qu’ils en distinguent le sexe, enferment un mâle et une femelle dans une boîte avec quelques grains de riz d’une sorte particulière ; et qu’au bout d’un temps plus ou moins long, la perle femelle se déforme légèrement sur un des points de sa surface. L’excroissance, d’abord très-petite, ne tarde pas à devenir plus visible, elle grossit, s’arrondit et se sépare bientôt de la perle mère pour continuer à vivre et à prospérer à son tour. Il suffit, pour élever ainsi une famille de perles, de lui donner régulièrement la nourriture qui lui convient, des bains d’eau de mer au moins trois fois par semaine, et de la tenir à l’abri des odeurs fortes, comme celles du tabac, de l’ambre et surtout de l’eau de Cologne.

C’est aux naturalistes de vérifier le fait, je le répète ; pour moi, j’ai vu et je raconte, et tous les Européens qui sont allés à Java pourraient témoigner de l’exactitude de mon récit.

Comme le lecteur a déjà dû le remarquer, ce fut à Soërabaija que je pus observer de près les mœurs javanaises proprement dites. Je viens de vanter, comme ils le méritent, l’intelligence de ces peuples si injustement appelés sauvages, leurs ressources, leur art, leur industrie ; mais il me reste à dire maintenant quelques-uns des crimes auxquels, comme dans nos milieux civilisés, les poussent leurs passions ou leurs intérêts, et à en faire comprendre le caractère particulier.

Les galériens. — Dessin de M. de Molins.

Un jour, à l’hôtel Schmidt, au moment où nous nous mettions à table, nous entendîmes au dehors d’épouvantables cris de terreur qui nous firent tous tressaillir. Nous nous élançons aussitôt hors de la salle à manger, et nous voyons passer devant nous, rapide comme la flèche, un homme, un indigène, brandissant un kriss, et dont la physionomie exprime la plus grande fureur.

« Amok ! amok ! » crie-t-on de tous les côtés. Mais déjà il a disparu.

Au même instant, et tandis que plusieurs d’entre nous courent après le fugitif, apparaît à nos yeux une femme en pleurs, ayant tous les cheveux coupés à la hauteur de la nuque. Je n’eus pas le temps d’en voir davantage, car déjà Schmidt me faisait monter en voiture auprès de lui et lançait ses chevaux sur la trace du malheureux.

Partout, sur notre passage, semblait régner la plus grande terreur : ce n’étaient que gens effarés se sauvant dans toutes les directions ou rentrant précipitamment dans leurs maisons. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la rue était devenue déserte ; seuls, des hommes armés de fourches et de lances se tenaient blottis dans les petits hangars que l’on voit dans tous les carrefours de Soërabaija, et l’un d’eux, une massette à la main, frappait à coups redoublés sur un gros cylindre de bois creux, suspendu par l’une de ses extrémités à la charpente du hangar.

Au détour d’une rue, j’aperçus de loin le furieux à moitié nu, les cheveux dénoués, courant de toutes ses forces, et poursuivi par une troupe d’hommes portant aussi des lances et des fourches : ils passèrent comme un tourbillon.

Bientôt après on vint nous dire qu’il était pris, et nous rentrâmes à l’hôtel.

Voici maintenant l’explication de ces scènes terribles, à l’une desquelles j’avais déjà assisté à Batavia.

Le Javanais, quoi qu’on en dise en Europe, est généralement doux et timide. Aussi lorsqu’il conçoit la pensée d’un crime, a-t-il besoin, pour s’exciter à le commettre, de recourir à l’ivresse ; il choisit la plus terrible,