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tenait de sa mère, sorcière consommée. Pour la consoler, les étrangers donnèrent son nom à la ville qu’ils venaient de fonder, en l’appelant Gar Nata, c’est-à-dire la ville de Nata. Voilà, ajoute le P. Echeverria, un des historiens de Grenade, voilà des contes de vieilles femmes, bons pour charmer les soirées d’hiver.

Sans nous occuper davantage de toutes ces fables qu’on retrouve mêlées à l’histoire de beaucoup de villes espagnoles, disons simplement que l’opinion la plus probable est celle qui fait de Grenade une ancienne colonie phénicienne, et qu’il faut chercher la vraie étymologie de son nom dans le mot Kar, qui signifiait villa fortifiée en phénicien, et qui forme la première partie du nom de plusieurs cités situées sur une élévation, telles que Carmona, Carthage, Carteia, etc. Quant au mot Nata, il a été interprété de diverses manières : suivant les uns, l’ancien nom de Grenade signifierait la ville des étrangers ; suivant d’autres, la ville de la montagne ou de la grotte. Nous laisserons de côté les autres opinions plus ou moins ridicules, par exemple celle de cet auteur qui veut que Grenade ait été fondée par Nabuchodonosor en personne. On pense que l’ancienne ville phénicienne occupait l’emplacement actuel des fameuses Torres Bermejas, les Tours Vermeilles, que nous laisserons tout à l’heure sur notre droite, quand nous monterons à l’Alhambra, et du campo del Principe.

À quelque distance de l’ancienne cité phénicienne, s’éleva plus tard la ville d’Illiberis, qu’on a confondue à tort avec celle qui est aujourd’hui Grenade. Illiberis, dont le nom signifie en langue basque la Ville nouvelle, était bâtie au pied de la Sierra de Elvira, nom qui a probablement la même étymologie ; elle devint plus tard une colonie romaine ; il est constant que ses ruines servirent à construire Grenade, et qu’on y prit les pierres comme dans une carrière, car il n’en reste plus de trace depuis longtemps. Des fragments d’inscriptions qui ont été conservés montrent qu’Illiberia, ou le municipium Illiberitanum, avait une certaine importance à l’époque romaine : plusieurs de ces inscriptions portent les noms de divers empereurs, tels que Vespasien, Marc-Aurèle, Gordien le Pieux, etc.

Le nom d’Eliberris ou Iliberis se retrouve sur les monnaies d’or de plusieurs rois goths, notamment sur celles de Svintila, le même prince dont le nom se voit également sur une couronne votive d’or massif, découverte en 1861, actuellement à Madrid, et à peu près semblable aux neuf merveilleuses couronnes trouvées à la Fuente de Guarrazar, près Tolède, et qu’on peut admirer au musée de Cluny.

Lorsque les rois goths furent chassés d’Espagne par les Arabes commandés par Tarick, il existait au-dessus de l’emplacement actuel du Campo del Principe, une enceinte fortifiée appelée Karnattah, qu’ils conservèrent en lui laissant son nom primitif ; c’est donc à tort qu’on a voulu chercher l’étymologie de Grenade dans deux mots arabes signifiant la Crème du couchant (Garbnata).

Cette enceinte, après sa reddition à l’un des lieutenants de Tarick, fut abandonnée aux Juifs, qui en firent leur résidence, et les Arabes lui donnèrent alors le nom de Karnattah al Yahoud, c’est-à-dire Grenade des Juifs ; très-peu importante à cette époque, elle était soumise à Elvira, l’ancienne Illiberis, capitale de la province. Quelque temps après l’invasion arabe, le gouverneur qui commandait en Espagne au nom du calife de Damas reçut l’ordre de faire, entre les nouveaux colons arabes et africains, un partage des terres appartenant aux Goths ; Elvira et Grenade restèrent jusqu’au commencement du onzième siècle sous la domination des gouverneurs nommés par les califes de Cordoue : à cette époque, leurs nombreux domaines devinrent la proie de conquérants avides, qui se partagèrent le califat de Cordoue, après la ruine complète de la dynastie des Ommiades (Umeyyah).

Un de ces chefs éleva d’importantes constructions à Grenade, et son neveu, qui lui succéda, y fixa sa résidence principale ; c’est alors que fut achevée la destruction d’Elvira ; plusieurs inscriptions provenant des ruines de cette ville ont été trouvées parmi celles de la Kassabah arabe, enceinte fortifiée dont le nom s’est conservé dans l’Alcazaba.

Vers le milieu du onzième siècle, un prince nommé Badis construisit un palais, dont les restes existent encore et sont connus sous le nom de la Casa del Carbon. Peu de temps après il fut détrôné par les Almoravides, dynastie qui venait d’Afrique. Ceux-ci furent émerveillés de la beauté du pays qu’ils avaient conquis ; ils tenaient tant à leur nouvel empire qu’un de leurs chefs s’écria un jour, s’adressant à ses compagnons : « L’Espagne est comme un bouclier dont Grenade est le support ; tenons les courroies serrées, et Grenade n’échappera pas de nos mains ! »

Vers le commencement du douzième siècle, une autre horde africaine, originaire des déserts voisins de l’Atlas, vint détrôner les Almoravides : c’étaient les Almohades, dont le nom signifie Unitaires. Pendant le treizième siècle, Grenade et la province furent le théâtre de guerres civiles presque continuelles ; mais en revanche la capitale reçut de nombreux embellissements. Ibn Al-Hamar, dont le nom signifie en arabe l’homme rouge, surnom qu’on lui avait donné à cause de son teint vermeil et de la couleur de sa chevelure, détrôna les Almoravides en 1232. Ce prince gouverna si sagement sa nouvelle conquête, que plusieurs milliers de musulmans accoururent de divers pays pour s’établir dans ses États, notamment après la prise de Séville, de Valence, de Xérès et de Cadix par les chrétiens. Il distribua des terres aux nouveaux venus et les exempta d’impôts ; le commerce devint prospère ; des hospices, des colléges pour l’enseignement des sciences furent fondés par lui ; il construisit des aqueducs, des bains publics, des : marchés, des bazars ; un de ces bazars, l’Alcayzeria, destiné à la vente de la soie brute, existait encore il y a une vingtaine d’années. Enfin, et c’est là son plus grand titre de gloire, il fut le premier fondateur de l’Alhambra.