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blessés du combat de la veille, qui imploraient la générosité des assistants ; le produit des offrandes fut versé le jour même dans la caisse de l’hôpital. Pour terminer la cérémonie, Mores et chrétiens, marchant deux à deux et bras-dessus bras-dessous, accompagnèrent de nouveau les reliques jusqu’à l’ermitage de Saint-Georges, et les danses recommencèrent de plus belle, toujours accompagnées de la même musique enragée et des plus bruyantes détonations des fusils et des pétards.

Paysan d’Alcoy.

Ces fêtes commémoratives dans lesquelles les Mores jouent invariablement le rôle des vaincus, sont un témoignage de la vieille haine que leur porte depuis des siècle le peuple espagnol, haine qui s’est manifestée d’une manière si frappante dans la récente guerre du Maroc ; elles n’ont pas lieu dans les provinces méridionales seulement : nous les avons vues reproduites à Madrid, avec quelques variantes, dans le cirque destiné aux combats de taureaux. Outre l’intérêt d’un souvenir historique, elles offrent un des côtés les plus curieux des mœurs populaires de la vieille Espagne, et jamais un étranger ne trouvera une meilleure occasion d’étudier les costumes de gala des habitants des campagnes, qui ne manquent pas de se rendre en foule à la grande fête nationale.

Pendant ces quatre grands jours de liesse, il fut consommé à Alcoy une incommensurable quantité de Turrones, espèce de nougat au miel et aux amandes très-renommé dans le pays, et les vendeurs d’orchata de chufas durent faire des affaires très-considérables ; car telles sont les principales consommations des fêtes populaires du midi de l’Espagne. Quant au vin et aux liqueurs, éléments indispensables de toute kermesse flamande et des réjouissances publiques de bien d’autres pays, ils ne jouent qu’un rôle très-secondaire dans les fêtes espagnoles, où il est excessivement rare de rencontrer un ivrogne : un borracho serait montré au doigt, et presque déshonoré dans la terre classique de la sobriété.

Une heure après avoir quitté Alcoy, nous traversâmes la jolie petite ville de Concentayna dans une situation charmante et où les souvenirs des Arabes abondent comme dans toute la contrée ; nous y remarquâmes surtout une de ces grandes tours carrées, construction arabe qu’on appelle el castillo, et qui fait penser à celles de l’Alhambra. Quelques heures après, nous arrivions à Jativa.

Jativa est une des villes les plus agréables qu’il y ait en Espagne, et une ville arabe par excellence. Saccagée à l’époque de la guerre de succession, elle perdit jusqu’à son nom que Philippe V remplaça par celui de San Felipe ; mais depuis son ancien nom a prévalu, et c’est le seul usité aujourd’hui. La ville est adossée a une haute montagne que couronne une ligne de vieux murs crénelés, d’un aspect des plus rébarbatifs ; la campagne, d’une admirable fertilité, s’étend à perte de vue ; océan de verdure au-dessus duquel les palmiers s’élèvent comme des mâts.

Jativa est la station la plus importante du chemin de fer de Valence, chemin dont la voie unique n’est défendue par aucune espèce de barrière, mais est bordée, sur la plus grande partie du parcours, d’orangers, de mûriers et de grenadiers dont nous pouvions presque atteindre les branches avec la main, en nous penchant à la fenêtre du wagon.