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Grâce aux habitudes de prompte publicité de l’éminent secrétaire du comité de Gotha, M. Augustus Petermann, ces communications fréquentes de la mission africaine ont été périodiquement livrées à l’impatience de l’Europe. Elles ont toutes paru de mois en mois dans le journal géographique qui se publie à Gotha sous la direction de M. Petermann, et qui porte le titre de Mittheilungen, recueil précieux qui est devenu pour l’Europe entière un centre de communication entre tous les amis de la science. Un certain nombre de mémoires et de lettres privées adressées au docteur Barth, l’illustre précurseur de l’expédition de 1861, ont aussi paru dans l’excellent journal géographique de Berlin. On a donc pu suivre pas a pas la marche de l’expédition, et on en connaissait depuis longtemps les résultats généraux[1].

Une seule partie, la plus importante à plusieurs égards, était encore inédite : ce sont les observations astronomiques et hypsométriques, base fondamentale de toute carte scientifique. C’est cette partie que vient de publier le docteur Petermann, dans un des cahiers Complémentaires (Ergaenzungshefte), qui se joignent de temps à autre aux cahiers mensuels des Mittheilungen, quand un morceau d’une étendue considérable exige ce supplément spécial. Celui-ci a pour titre : Expédition allemande de l’Afrique orientale, 1861-1862. Recueil des observations astronomiques, hypsométriques et météorologiques, des relevés trigonométriques et des itinéraires, de MM. de Heuglin, Kinzelbach, Munzinger et Steudner, dans l’Égypte orientale, le Soudan, et les territoires limitrophes du nord de l’Abyssinie ; avec une notice générale de M. Werner Munzinger, sur la part qu’il a prise à l’expédition allemande depuis Massâoua jusqu’au Kordofan, en 1861 et 1862[2]. Le calcul des éléments astronomiques et hypsométriques envoyés par M. Kinzelbach, puis la construction et la gravure des quatre cartes qui présentent l’ensemble des itinéraires et des relevés trigonométriques de la Mission entre la mer Rouge et le Nil, ont nécessité le long retard de ce cahier, retard que justifie suffisamment la beauté des cartes qui font partie de cette publication finale du Comité. Je dis de cette publication finale, parce qu’elle semble être présentée comme telle par le docteur Petermann ; et cependant j’ai peine à croire, dans l’intérêt d’une publicité plus large encore, que les communications fragmentaires des Mittheilungen et du Zeitschrift ne soient pas reprises et fondues dans une relation d’ensemble, à moins que chacun des voyageurs dont se composait la mission ne se propose de publier séparément ses souvenirs personnels.

C’est en effet l’exemple que vient de donner M. Munzinger, dans un volume du plus haut intérêt qu’il intitule Études sur l’Afrique orientale (Ostafrikanische Studien). L’espace me manquerait même pour indiquer ici tout ce que ce volume renferme de curieux et d’important ; c’est une tâche que l’on me permettra de renvoyer à l’Année géographique.


III

D’autant plus que nous ne pouvons quitter cette région du Nil supérieur et de la Haute-Nubie, si complétement inconnue il y a quarante ans et que depuis 1820 tant de belles explorations ont signalée, sans mentionner encore une publication dont elle a été récemment l’objet en dehors de la mission de M. de Heuglin, publication doublement remarquable au point de vue de la beauté artistique et de la valeur scientifique. Je veux parler du livre du docteur Robert Hartmann. C’est encore une relation allemande ; car depuis le savant voyage de l’ingénieur autrichien Joseph Russegger en 1837, c’est surtout l’Allemagne qui a pris scientifiquement possession de cette vaste région du haut Nil, en même temps que le gouvernement égyptien y portait sa domination politique.

Le docteur Hartmann accompagnait dans cette visite au haut Nil le jeune baron Adalbert de Barnim, fils de S. A. R. le prince Adalbert de Prusse. C’était en 1860. On sait que la ville égyptienne de Khartoum est située dans l’angle intérieur du confluent des deux bras supérieurs dont se forme le fleuve d’Égypte, le Bahr el-Abyad ou fleuve Blanc qui vient directement du sud (et qui a été regardé de tout temps comme la branche principale du grand fleuve), et le Bahr el-Azrek ou fleuve Bleu, qui sort de l’Abyssinie et vient du sud-est. De Khartoum, le noble voyageur et son savant compagnon remontèrent non plus le fleuve Blanc, mais la vallée plus orientale du fleuve Bleu. Sous bien des rapports, cette ligne moins fréquentée (quoique d’éminents explorateurs l’aient aussi parcourue, Cailliaud, Russegger, et en dernier lieu Lepsius, l’illustre archéologue), cette ligne, disons-nous, est d’un grand intérêt. L’intérêt est moins dans les cantons aurifères du Fazokl, auxquels la route du fleuve Bleu conduit, que dans les souvenirs historiques qui s’y rattachent. Ces territoires appartenaient au royaume jadis si fameux de Méroé, dont les origines et l’histoire se dérobent à demi sous les voiles de la légende. Des ruines d’un caractère tout égyptien y rappellent le souvenir des Automoles, ces fugitifs égyptiens dont Hérodote nous a conservé l’histoire, et qui, fuyant la domination de Psammétique, six siècles et demi avant notre ère, vinrent fonder une colonie dans ces contrées extrêmes de l’Éthiopie ; plus tard enfin, c’est là qu’on vit s’élever le royaume musulman de Sennâr, dont le nom revient si souvent dans les vieilles relations, et sur lequel domina longtemps la nation demi nègre des Founghis, qui venait du sud. Ces contrées du fleuve Bleu, comprises entre Khartoum et la frontière nord-ouest de l’Abyssinie, présentent encore à l’observateur un autre sujet d’étude ; elles sont comme le point de réunion des races diverses qui se partagent le nord de l’Afrique. Là se trouvent rapprochés, et souvent en contact, le nègre pur (le Nouba), le nègre métis (le

  1. Dans les deux premiers volumes de notre Année Géographique (1862, 1863), nous avons relevé par ordre de dates les communications successives des membres de la mission, et nous en avons donné la substance.
  2. Die deutsche Exedition in Ost-Afrika, etc. Ergänzungshefte, no 13. Gotha, Justus Perthes, juin 1864. in-4o.