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veilleurs de nuit, car il y en a dans toutes les grandes maisons de Pékin. Ils ont soin d’accourir dès qu’ils sont bien sûrs qu’il y a quelqu’un, et alors ils font assaut de zèle.

« Je riais en moi-même de voir la manière fanfaronne avec laquelle l’un d’eux agitait ses bras d’un air terrible, en indiquant les coins obscurs du jardin à l’autre qui les fouillait tour à tour avec son trident de fer, comme s’il eût voulu transpercer tous les voleurs. S’ils en avaient aperçu un, comme ils auraient pris la fuite !

« Dieu merci, nos veilleurs de la légation, quoiqu’ils portent à leur ceinture le tam-tam et la crécelle, insignes de leurs fonctions, n’en font pas usage à leur grand regret comme leurs confrères de la rue. Ce vacarme nocturne leur a été expressément défendu. »


La province de Petche-li, dans laquelle se trouve Pékin et qui est la plus septentrionale de la Chine proprement dite, se divise en neuf départements dont chacun a sa ville capitale. Nous avons eu occasion de parcourir celui dont Tien-tsin est le chef-lieu ; le département de Pékin est moins fertile encore ; bordé au nord-ouest par une chaîne de petites montagnes qui le séparent de Suan-hoa-fou, il ne se compose guère que de grandes plaines sablonneuses arrosées par les rivières Pei-ho et Weu-ho, dont les vallées seules possèdent une richesse naturelle. Mais, si la nature a refusé ses dons aux environs de Pékin, l’industrie humaine en a changé complétement l’aspect, à force de travail. Les irrigations, les transports de terre végétale, l’abondance des engrais ont formé un sol artificiel ; aux environs du village de Haiien, les empereurs, en bouleversant le terrain à force de bras, ont placé un paysage pittoresque au milieu d’une plaine nue et aride : des collines rocailleuses, de plantureux vallons, des forêts d’arbres magnifiques, des lacs, des cascades, toutes les créations de l’art secondé par le temps y ont avantageusement remplacé la nature.

Ces immenses travaux de terrassements s’étendent à plus de quarante kilomètres au nord-ouest de Pékin. Au nord de la capitale, se trouvent des champs de blé, de sorgho et d’orge ; au sud, d’immenses marais et des rivières alimentées par les eaux du Weu-ho ; et enfin, c’est à l’est que vient aboutir la chaussée de Pa-li-kiao, sur laquelle est assise la ville de Tong-cheou, que nous avons décrite précédemment.

Quand on débouche de la capitale par la porte de Pin-tse, on se trouve sur la grande route du nord-ouest qui conduit aux ruines du Palais d’été. Au pied des murailles, une enceinte plantée de grands arbres renferme l’ancien cimetière portugais, où ont été déposés les corps des victimes de l’attentat de Tong-cheou et du général Collineau.

À quelques kilomètres plus loin, on rencontre le cimetière français, qui contient le monument consacré à la mémoire des officiers et soldats morts pendant la campagne de Chine. Rien de plus triste que l’aspect de cette nécropole ! On y arrive par une porte dégradée, entourée de murs qui tombent en ruine ; un frère catholique, qui est à la fois gardien du cimetière et maître d’école, y habite une mauvaise masure entourée d’une haie de sorghos ; derrière s’étend un jardin maraîcher, où de maigres légumes croissent difficilement au milieu des gravats et des vieilles pierres moussues qui encombrent le sol.

Après le potager, viennent les tombes. Elles sont alignées à une distance égale et toutes construites sur le même modèle adopté jadis par les missionnaires : ce sont des carrés égaux coiffés d’une demi-sphère avec un rebord ; on dirait de vastes chapeaux ronds. Ces pierres blanches sont lugubres à voir dans la monotonie de leur forme et dans la régularité de leur position. Devant chaque tombe, un monolithe dressé sur un socle contient les inscriptions funéraires. Au loin, par les brèches de la muraille, on aperçoit au-dessus de la plaine les pics bleuâtres des montagnes. Le sol du cimetière est recouvert d’une mousse noire toute desséchée par le soleil ; on n’y voit d’autres arbres que d’humbles mélèzes nouvellement plantés dans les intervalles des tombes, et qui végètent à peine dans ce terrain ingrat.

Le monument expiatoire élevé à l’armée française par les soins du capitaine Bouvier se trouve près de l’entrée : il est carré, plus haut que large, et très-simplement orné ; une grille en fer en entoure la base et en défend l’approche ; devant est l’aigle impérial, derrière deux épées en croix avec la Légion d’honneur en sautoir. L’un des côtés porte cette inscription : « À la mémoire des officiers et soldats morts pendant la campagne de Chine. — 1860. » Sur l’autre, on lit les noms des victimes de l’attentat de Tong-cheou et des officiers tués en combattant.

À quelques pas plus loin, une large pierre tumulaire est posée à plat sur le sol : c’est là qu’a été transporté le corps du lieutenant de Damas, tombé au combat de Tehang-Kia-ouang.

Il y a une mélancolie saisissante dans cet humble cimetière, où reposent, à quatre mille lieues de la patrie, quelques-uns des glorieux enfants de la France. Aucun bruit n’y rappelle le pays natal, et le nasillement des écoliers chinois, qui répètent leurs leçons, vient seul en interrompre le morne silence.

Le cimetière français est situé à l’ouest-nord-ouest, à huit kilomètres de Pékin, dans un vallon aride ; plus loin, en avançant vers le village de Hai-tien, on aperçoit vers la droite le célèbre temple de la Cloche.

L’architecture religieuse des Chinois ne ressemble en rien à la nôtre. Nous, cherchant à mettre en harmonie le mystère imposant dont s’entourent nos cérémonies sacrées avec l’ensemble d’édifices voués au recueillement et à la prière, nous personnifions la majesté de Dieu par des églises grandioses, fermées de toute part, d’un style grave, un peu sombre et mélancolique. La dévotion des bouddhistes est moins exigeante, et s’accommode de constructions analogues à celles des particuliers. Aussi les Chinois choisissent-ils, pour