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Les provinces sont administrées par un gouverneur général qui représente l’empereur ; après lui viennent le gouverneur civil et le gouverneur militaire, puis une foule de mandarins dont le pouvoir et les attributions dépendent du chef civil ou du chef militaire. Pour empêcher les conspirations, les empereurs mandchoux ont décrété que nul ne serait fonctionnaire dans son pays natal, et ne pourrait exercer de charges dans la même province pendant plus de trois ans. Le Code chinois interdisait déjà aux fonctionnaires d’acquérir des biens ou de se marier dans leur juridiction territoriale. Ces mutations perpétuelles ont beaucoup contribué à affaiblir le lien gouvernemental, et ont motivé en partie les dernières insurrections. L’empire tout entier est divisé en communes, composées théoriquement de cent familles, dont le chef, nommé à l’élection, est responsable des impôts, de l’entretien des routes et de l’accomplissement des corvées publiques.

Il est inutile d’entrer dans des détails plus circonstanciés sur le gouvernement chinois, sujet qui a été supérieurement traité par Abel de Rémusat, dans ses Mélanges asiatiques, plus récemment dans l’ouvrage de M. Pauthier, intitulé : Chine moderne, et enfin dans les livres si populaires du P. Huc ; cependant il nous a paru utile de mettre sous les yeux du lecteur un aperçu concis de cet antique gouvernement, qui a été trop décrié peut-être après avoir été trop admiré. Qui pourrait nier d’ailleurs que la forme administrative adoptée par une nation n’ait un rapport direct avec ses mœurs et ses coutumes ?


LA RELIGION.

Indifférence religieuse des Chinois. — Musulmans, chrétiens et juifs. — Religion de Lao-tse. — Idoles du temple de Fa-quâ. — Abjection où vivent les prêtres. — Doctrine de Confucius. — Le bouddhisme. — Réforme de Tsong-Kaba. — Lamas et bonzes. — Mme de Bourboulon dans le temple des Mille-Lamas. — Visite à la bonzerie de Ho-kien. — Magnifiques jardins. — Martyrs volontaires. — Moulins à prières. — Singulière mode de sépulture. — Repas de la communauté.

La religion joue un moins grand rôle en Chine que dans tout autre pays. Le fond du caractère chinois, c’est le scepticisme. Le Chinois ne poursuit avec ardeur que les richesses et les jouissances matérielles ; les choses spirituelles ayant rapport à l’âme, à Dieu, à une vie future, il y croit peu, ou plutôt il ne veut pas s’en occuper. Cette indifférence qui fait le désespoir de nos missionnaires est confirmée par un fait récent assez concluant. Lors de l’enterrement d’un prince de la famille impériale, qui eut lieu à Pékin en 1861, on convoqua, pour augmenter la pompe de la cérémonie funèbre, des prêtres de toutes les religions qui existent dans la ville. Il y avait là, pêle-mêle, des docteurs de la raison, des lamas jaunes du culte réformé, des bonzes et des imans hoei hoei ou musulmans chinois. Est-ce le signe d’une sage tolérance ? Non. C’est seulement la preuve du mépris qu’affichent en Chine les hautes classes de la société pour les formes religieuses.

On compte, dans ce pays, trois religions principales : la religion de Lao-tse, celle de Confucius, et celle de Fô ou le bouddhisme, qui est la plus répandue. On y rencontre, en outre, un assez grand nombre de mahométans qui habitent différentes provinces et dont nous parlerons plus tard en décrivant la ville de Luan-Hoa-fou ; des chrétiens, dont le décret sur la liberté de conscience a beaucoup amélioré la position, et enfin quelques juifs dont il n’existe plus qu’un petit nombre de familles et une synagogue dans la province de Ho-nan.

La religion de Lao-tse passe pour être la religion primitive de la Chine. Ses sectateurs admettent beaucoup de dogmes qui leur sont communs avec ceux de Confucius, mais ils croient à l’existence des dieux intermédiaires, des génies et des démons. Ce culte a dégénéré en idolâtrie. Les prêtres et prêtresses, voués au célibat, se livrent à la magie, à la nécromancie et à une foule d’autres superstitions. On les appelle tao-sse ou docteurs de la raison, parce qu’un dogme de leur croyance, enseigné par Lao-tse, leur fondateur, admet l’existence de la raison primordiale qui a créé le monde. Lao-tse vivait il y a deux mille quatre cents ans, à la même époque que Confucius, avec qui il eut de fréquentes disputes sur le dogme ; ces disputes se continuèrent après leur mort, et les annales chinoises sont remplies du récit des querelles des tao-sse avec les disciples de Confucius. Les superstitions extravagantes des premiers, leur prétention de connaître l’élixir qui donne l’immortalité, donnèrent de puissantes armes à leurs adversaires qui les couvrirent de ridicule. Actuellement, la religion de Lao-tse n’est plus pratiquée que dans la plus basse classe du peuple.

La pagode de Fâ-quâ, dont nous avons parlé et qui est située dans une île de la mer du Nord, à Pékin, appartient aux prêtres tao-sse. Les vastes salles eu sont occupées par une armée de dieux et de génies monstrueux en bois peint et sculpté ; dans les galeries latérales, une foule d’autres figures représentent des héros ou des saints canonisés de cette secte populaire. Au centre de l’édifice se trouvent cinq statues gigantesques ; celle du milieu, assise sur un coussin, la poitrine et le ventre découverts, est une représentation du dieu qui doit venir sauver les hommes ; les quatre autres, qui lui servent d’acolytes, sont des dieux inférieurs ; le premier tient un long serpent enroulé autour de son corps ; le second porte un parasol sur la pointe duquel sont attachés des nuages en papier ; le troisième, qui a une figure effroyable, brandit un sabre à deux tranchants ; le quatrième, enfin, joue de la mandoline.

Les prêtres de ce temple, au nombre d’une quinzaine au plus, n’ont pas de costume particulier, ou plutôt ils sont couverts de guenilles sordides. Leur tête est rasée, mais non pas complétement comme celle des bonzes, car ils se laissent croître sur le sommet du crâne une épaisse touffe de cheveux qu’ils maintiennent avec une épingle de métal. C’est leur seul signe distinctif. La misère de ces malheureux et le mépris dont ils sont poursuivis sont tels, que le nombre en va toujours diminuant. On les laisse vivre dans l’abjection au fond de leur temple sans s’occuper d’eux, sauf quelques adeptes