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à peine ébauchées que l’on possédait naguère sur la géographie de cette grande région du continent africain, et sur ses populations. On connaissait seulement, et encore d’une manière bien imparfaite, la partie inférieure du Zambézi, le plus grand fleuve de l’Afrique après le Nil et le Dhioliba ; M. Livingstone en a reconnu toute la partie moyenne sur une étendue de huit à neuf cents milles, et en même temps il a réuni de précieuses informations sur les pays que le fleuve arrose. On a, grâce à lui, des notions précises sur toutes ces parties du vaste plateau qui occupe l’intérieur de l’Afrique au sud de l’équateur. Une autre reconnaissance d’un très-grand intérêt, presque une découverte, que l’on doit au docteur Livingstone, est celle d’un grand lac — Nyassa ou Nyanza, selon le terme indigène qui s’applique dans cette région de l’Afrique à toutes les grandes nappes d’eau, — situé à quatre cents milles de la côte, un peu au nord du Zambézi inférieur, dans lequel il se déverse par une rivière pleine de rapides, le Chiré. Une première excursion était forcément restée incomplète ; M. Livingstone avait à cœur d’en poursuivre les données déjà fort importantes. Il voulait notamment remonter au pourtour du lac jusqu’à son extrémité nord, afin de s’assurer si une grande rivière venait, comme on l’a dit, déboucher sur ce point. Cette fois encore, il ne lui a pas été possible d’accomplir cette exploration, à cause d’une colonie de Zoulous qui venaient de porter la désolation dans les territoires qui bordent le lac au nord et à l’ouest, et dont il y avait tout lieu de croire les dispositions peu amicales. Il fallut quitter le lac à une baie appelée Kotakota et s’avancer à l’ouest, dans l’espérance qu’arrivés à une centaine de milles des bords du lac on pourrait tourner vers le nord.

L’aperçu de cette course est intéressant sous plus d’un rapport.

On n’avait pas encore parcouru ces cent milles, que l’on vit un grand nombre de rivières coulant dans la direction du lac. Comme on était à l’époque la plus sèche de l’année, que d’ailleurs bien d’autres indices d’un climat très-humide se montraient de toutes parts, tels que les arbres couverts de lichens, on en put déjà conclure que la supposition d’une grande rivière qui viendrait du nord aboutir à l’extrémité supérieure du Nyanza n’est nullement nécessaire pour se rendre compte de la constance de son niveau.

De Kotakota, on voit à l’ouest, à la distance de douze à quinze milles, une ligne de hauteurs qui semble une rangée de hautes montagnes ; arrivé à la partie la plus haute de la chaîne, on reconnaît que ce n’est que le bord d’une terrasse, pour laquelle le point d’ébullition de l’eau indiqua une altitude de trois mille quatre cent quarante pieds anglais (1 048 mètres) au-dessus du niveau de la mer.

Continuant de se porter droit à l’ouest, on arriva à un point éloigné du lac d’environ cent milles. Là, tout d’abord, il se trouva que certaines rivières descendaient dans la direction du lac, et que le pays était sillonné d’un grand nombre de vallées peu profondes, exactement comme au pays de Lunda autrefois visité par le docteur Livingstone dans le cours de son grand voyage. Quelques-unes de ces vallées avaient des rivières dont les eaux s’écoulaient au sud-ouest, et on lui dit qu’elles vont se réunir à la Loangoua, qui se jette dans le Zambézi près de Zambo. Une autre rivière appelée Moïtala, ou Moïtava, coulait au N. N. O., et on lui assura qu’elle allait aboutir au Bemba, lac inexploré situé à dix jours de distance. On rencontra un certain nombre de tribus appelées Babisa, qui sont de grands trafiquants ; elles courent le pays à la recherche de l’ivoire. Ces gens assuraient qu’une rivière appelée Loapola, ou Luapula, sort du lac Bemba et se dirige au couchant pour aller former un autre lac appelé Moréo, ou Moélo, et de là, plus loin encore, un troisième lac appelé Mofué, après lequel la rivière passe près de Cazembé, d’où elle tourne au nord pour aller tomber dans le Tanganîka. « Voilà ce que disaient ces hommes, poursuit le voyageur. J’aurais mieux aimé que cette rivière s’écoulât, selon mes premières idées, vers le Zambézi ; je voulus mettre à l’épreuve quelques-uns de mes informants. « Va-t-elle bien où vous dites ? Ne va-t-elle pas plutôt au Zambézi ? » Ils se mirent à rire et à se parler entre eux. « Il dit que le Loapola s’en va au Zambézi ! A-t-on jamais entendu pareille chose ! » Il me fallut bien croire que la rivière a son cours au nord-ouest et va se terminer au Tanganîka. « Et que devient l’eau qui tombe dans le Tanganîka ? leur demandai-je ensuite. Mais aucun d’eux ne put répondre à ma question, ni me dire si une rivière sortait ou non du Tanganîka. »

Ce voyage, on le voit, quoique trop tôt interrompu, ne laisse pas de jeter quelque jour sur la disposition physique de la partie du plateau comprise entre le Nyanza et le grand lac central de Burton (le Tanganîka ;) c’est une première préparation à la reconnaissance complète qui sera bientôt poussée dans cette direction, il faut l’espérer.

Pour ne rien oublier des nouvelles explorations africaines commencées ou projetées, il nous aurait fallu dire quelque chose aussi de nos deux voyageurs sénégalais, MM. Mage et Quentin, et du voyageur allemand Gerhard Rohlf. On sait que le lieutenant de marine Mage et le Dr Quentin ont reçu de M. Faidherbe, l’actif gouverneur du Sénégal, la mission assez difficile et passablement dangereuse de descendre le haut Dhioliba jusqu’à Timbouktou, pour préparer les futurs rapports entre nos établissements sénégalais et le Soudan occidental. Les dernières nouvelles étaient rassurantes pour la santé et les prévisions des deux voyageurs ; mais les circonstances ne leur avaient pas permis encore d’avancer beaucoup sur le grand fleuve du Soudan.

M. Rohlf est un Allemand, jeune encore, plein de feu et d’intelligence, qui veut essayer une reconnaissance du pays des Tibbous, à l’est du Fezzan. Si M. Rohlf réussit, il aura rempli une des grandes lacunes qui restent encore dans la carte et surtout dans l’ethnologie du nord de l’Afrique. Aucun Européen jusqu’à présent n’a vu le pays Tibbou, entre le Fezzan et le Ouadây, et il y a eu,