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1710, en même temps que de Vibourg et de Revel, et des autres villes des provinces baltiques, qui lui furent définitivement abandonnées par la Suède, aux termes du traité de Nystadt. Riga conserva quelques priviléges qui lui sont chers, et qui lui furent solennellement confirmés par la plupart des souverains russes ; il y règne encore une ombre de liberté communale. Les Russes ne se trouvent pas là chez eux : ils ne peuvent siéger au Rathhaus : ils n’ont pas même le droit d’exercer certaines professions ni certains commerces, exclusivement réservés aux Allemands. Enfin une garde nationale à cheval, la seule de la Russie, peu exercée, il est vrai, puisqu’elle ne chevauche qu’une fois l’an, reste comme un dernier vestige des milices bourgeoises, qui défendaient la commune contre des armées disciplinées.


Un marché en Livonie. — Dessin de d’Henriet.

La ville, à l’étroit dans ses murs, s’est augmentée de faubourgs qui s’étendent assez loin dans plusieurs sens, et renferme une population bizarre, agglomération de races longtemps ennemies, qui se sont réconciliées, ou peu s’en faut, mais qui ne se sont que peu ou point mêlées ; ce sont :

Les Allemands, policés, polis, qui se croient fort supérieurs aux Russes et le sont en effet par plusieurs côtés ; ils se sentent prépondérants, parce qu’ils forment l’élément essentiel de la population urbaine ; ils sont fiers de leur bourgeoisie et de leurs richesses, assez hauts avec leurs inférieurs, remuants, supportent difficilement la dépendance ou ils se trouvent, et gardent avec religion leur langue maternelle et leurs usages ;

Les Lettons ou Lethois, anciens possesseurs du pays, pauvres gens dégradés et abrutis sans mesure, dont je dirai plus loin quelques caractères particuliers ; ayant leur langue, une des plus vieilles langues de l’Europe ; ayant un costume à eux, qui n’est pas sans ressemblance avec celui du Breton, et conservant, malgré leur inertie apparente, une certaine force de vie et d’obstination à leurs usages ;

Les Russes, fonctionnaires, employés à tous les degrés dans l’échelle du Tchin[1], galonnés, serrés dans leurs uniformes, sont soigneusement rasés, sauf ceux des basses classes, qui portent toute la barbe ; ces derniers, peuple des faubourgs, sont charpentiers, terrassiers, trafiquants de petites industries, à moins qu’ils ne servent comme domestiques ou gardiens de nuit. Ils portent la touloupe, peau de mouton, durant l’hiver, et pendant l’été, la chemise et le pantalon ;

Les Israélites, die Jude, aux cheveux noirs ou roux, sorte de parias, traités comme des chiens, objet de rire, de plaisanterie cruelle, de haine religieuse dans une société qui se dit chrétienne, habillés d’un vêtement particulier, malpropres, honteux, serviles arrivés par le mépris des autres et le défaut de protection légale, à la bassesse et au mépris d’eux-mêmes ; ils n’ont pas le droit de séjourner dans la ville[2], la police les y tolère pour en retirer quelque argent au fur et à mesure de ses besoins ; ils n’ont pas le droit d’acquérir la terre ; ils deviennent colporteurs, contrebandiers, faiseurs de tours, et quels tours ! — musiciens, tambours ; ils ne deviennent guère soldats : la différence de religion plus encore que celle de race, leur est défavorable.

J’ai entendu répéter à satiété que les rapports du serf au seigneur et du domestique au maître, sont ceux du fils au père, quelque chose d’attendrissant, d’exemplaire de matriarcal. De même ceux du paysan à l’empereur. « Le tzar est loin, comme Dieu est haut,

  1. Le Tchin, échelle hiérarchique des rangs, création du génie despotique de Pierre le Grand, se compose de quatorze échelons, par lesquels sont supposés monter les Tchinovniks, employés de l’État, et qui, commençant au rang de registrateur de collége, finit à celui de conseiller privé actuel de première classe.
  2. Un décret leur a concédé ce droit en 1864.