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Page:Le Tour du monde - 12.djvu/228

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indifférence de l’Europe, permettrait à l’Égypte de donner suite à des projets qu’elle commence à ne plus déguiser.


III


Une réclamation en faveur de Poncet. — Sennâr en 1699. — Audience d’un roi des Fougn. — Un ambassadeur qui n’est pas fier.

Deux jours plus tard, j’étais rentré à Sennâr.

Avant de quitter cette ombre de capitale, j’éprouve le besoin d’un acte de justice rétrospective.

Tout le monde connaît le nom de ce docteur Poncet que Louis XIV chargea, en 1678, d’une mission d’amitié près du négus d’Abyssinie, et qui mena heureusement à fin cette mission, pour laquelle on lui avait adjoint un capucin astronome, le P. de Brevedent. Je m’intéressais d’autant plus à cette mission, qu’elle avait les plus grandes analogies avec celle que je remplissais à plus d’un siècle et demi d’intervalle. Je savais que l’itinéraire de Poncet (par l’Égypte, Dongola et Sennâr), difficile à comprendre pour qui n’a pas suivi les mêmes routes que lui, devait, par la raison contraire, m’offrir les plus grandes facilités d’explications. J’ai pu vérifier sur le terrain même les récits simples et colorés du savant médecin, et j’éprouve un véritable bonheur à lui rendre la justice qui lui est due, en déclarant qu’il peut réaliser avec Bruce lui-même pour l’exactitude du récit géographique des descriptions de la nature et de la peinture des mœurs.

Le lecteur ne perdra rien à trouver, mêlés à ma prose, quelques extraits de mon prédécesseur : d’autant mieux que bien des choses qu’il a vues seraient introuvables aujourd’hui. Je commence par Sennâr.

« Cette ville, qui a près d’une lieue et demie de circuit, est fort peuplée, mais malpropre. On y compte environ cent mille âmes ; elle est située à l’occident du Nil, sur une hauteur à 10° 4′ de latitude nord, selon l’observation que le P. de Brevedent fit à midi le 11 mars 1699. Les maisons n’ont qu’un étage et sont mal bâties ; mais les terrasses qui leur servent de toit sont fort commodes. Pour les faubourgs, ce ne sont que de méchantes cabanes faites de cannes. Le palais du roi est environné de hautes murailles de briques cuites au soleil ; il n’a rien de régulier ; on n’y voit qu’un amas confus de bâtiments qui n’ont aucune beauté ; les appartements de ce palais sont assez richement meublés avec de grands tapis à la manière du Levant.


Emfras Amba Mariam. — Dessin de Eugène Ciceri d’après un croquis de M. G. Lejean.

« On nous présenta au roi dès le lendemain de notre arrivée. On commença par nous faire quitter nos souliers : c’est un point de cérémonial qu’il faut que les étrangers gardent ; car pour les sujets du prince ils ne doivent jamais paraître devant lui que les pieds nus. Nous entrâmes d’abord dans une grande cour pavée de carreaux de faïence de différentes couleurs ; elle était bordée de gardes armés de lances. Quand nous l’eûmes presque toute traversée, on nous arrêta devant une pierre qui est proche d’un salon ouvert, ou le roi a coutume de donner audience aux ambassadeurs. Nous saluâmes là le roi selon la coutume du pays, en nous mettant à genoux et baisant trois fois la terre. Le prince, âgé de dix-neuf ans, est noir, mais bien fait et d’une taille majestueuse, n’ayant point les lèvres grosses ni le nez écrasé comme l’ont ses sujets. Il était assis sur un lit fort propre en forme de canapé, les jambes croisées l’une sur l’autre à la manière orientale et environné d’une vingtaine de vieillards assis comme lui, mais un peu plus bas. Il était vêtu d’une longue veste de soie brodée d’or, et ceint d’une espèce d’écharpe de toile de coton très-fine : il avait sur la tête un turban blanc. Les vieillards étaient à peu près vêtus de la même manière. Le premier ministre à l’entrée du salon, et debout, portait la parole au roi et nous répondait de sa part. Nous saluâmes une seconde fois ce prince, comme nous avions fait dans la cour, et lui présentâmes quelques cristaux et quelques curiosités d’Europe qu’il reçut avec agrément. Il nous fit plusieurs questions qui marquent que ce prince est curieux et qu’il a beaucoup d’esprit. Il nous parla du sujet de notre voyage, et nous parut avoir beaucoup d’attachement et de respect pour l’empereur d’Éthiopie. Après une heure