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Page:Le Tour du monde - 12.djvu/23

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des amiraux, comment il avait eu l’audace de se mesurer avec un animal aussi redoutable, il répondit simplement : « Je voulais rapporter sa peau à mon père. » MM. Torell et Nordenskiœld ont vu des ours dans leur excursion vers le nord du Spitzberg. L’estomac de l’un de ces animaux était rempli d’herbe. Ils ne sont donc pas uniquement carnivores, quoique les phoques et les morses soient leur proie habituelle. Aussi les ours ne quittent guère les glaces flottantes, qui sont également le séjour habituel des chiens et des bœufs marins.

Navire russe abandonné. — Dessin de V. Foulquier d’après l’atlas de la Recherche.

Autant l’ours blanc est rare, autant le renard (Canis lagopus L.) est commun. En été, son pelage est d’un brun sale ; en hiver il devient blanc ou d’un bleu ardoisé très-foncé. C’est une fourrure très-recherchée dans le Nord ; mais pour l’avoir dans toute sa beauté, il faut tuer l’animal pendant l’hiver. En entrant dans la baie de Bellsound au Spitzberg, le 25 juillet 1838, nous fûmes frappés par la vue de grandes croix russes de forme triangulaire, plantées sur le bord de la mer ; dans le voisinage était une cabane, et sur le rivage un petit navire abandonné. Ces croix recouvraient les corps de pauvres serfs russes qui étaient venus passer l’hiver au Spitzberg pour chasser le renard bleu. Quelques-uns étaient morts du scorbut, les autres avaient survécu. Nous apprîmes depuis qu’ils étaient venus d’Archangel, et ne se trouvant plus assez nombreux pour armer leur bateau, ils avaient rejoint dans une embarcation un navire norvégien qui était en vue. Autour de la cabane nous vîmes les restes des piéges qu’ils avaient tendus pour prendre des renards bleus. Ces animaux creusent de profonds terriers à plusieurs ouvertures, et garnissent de mousse la chambre qu’ils habitent. En été, les oiseaux qui viennent pondre au Spitzberg leurs œufs et élever leurs petits fournissent à ces renards une pâture abondante ; alors ils deviennent très-gras. Nous en jugeâmes par plusieurs individus qui furent tués par les officiers de la Recherche. En hiver, ils jeûnent, et leur faim est telle, qu’ils s’attaquent à tout. Quand Bering fit naufrage sur les îles du détroit qui porte son nom, les renards bleus cherchaient à arracher les semelles des bottes aux hommes endormis, et sur l’île Jan-Mayen, MM. Vogt et Berna étaient obligés de défendre contre eux à coups de fusil leurs habits et leurs provisions.

Un seul petit rongeur, le campagnol de la baie d’Hudson, habite le Spitzberg. Sa robe d’hiver est blanche, celle de l’été variable ; il représente au Spitzberg le Lemming de Norvége, si célèbre par ses migrations.

Le renne sauvage, ou le cerf du Nord (Cervus tarandus L.) n’est pas très-rare au Spitzberg. En été, il trouve sur le bord de la mer l’herbe qui est sa nourriture normale et habituelle, et en hiver il gratte la neige sous laquelle il découvre des lichens et des mousses ; mais il maigrit alors prodigieusement pour engraisser de nouveau pendant la belle saison. Le renne est le seul animal du Spitzberg dont la chair soit à la fois agréable et nourrissante ; elle a beaucoup d’analogie avec celle du chevreuil. Le renne suffit à tous les besoins des Lapons, dont l’existence repose uniquement sur les nombreux troupeaux qu’ils parquent en été dans les îles ou promènent sur les montagnes de leur pays, tandis qu’ils les rassemblent en hiver autour de leurs villages, où la terre produit abondamment un lichen qui la recouvre de ses plaques soufrées. En hiver, l’animal retrouve sous la neige ce lichen ramolli par l’eau qui filtre, en automne et au printemps, à travers les neiges fondantes : son tissu coriace, devenu tendre, est plus aisément broyé par les molaires de l’animal. Au Spitzberg, les rennes ne se montrent pas par grandes troupes, mais par groupes isolés ; ils sont très-craintifs, très-sauvages, et se laissent difficilement approcher ; aussi est-il rare qu’on en