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commode. Quant aux tuiles, ce sont les follioles elles-mêmes, disposées les unes à côté des autres et cousues avec des baguettes de bois.

Disons, en passant, qu’à proprement parler, une case gabonaise ne se bâtit pas, mais se coud pièce à pièce, sans clou ni marteau. Le fil qui sert à cet usage est une longue liane, souple et tenace, l’ojôno, qui appartient elle aussi à l’inépuisable famille des palmiers. C’est une espèce de rotang fort désagréable à rencontrer dans les bois, car il est armé de crochets recourbés, rangés par paires de chaque côté de la tige comme les pattes d’une ancre, et qui, lorsqu’ils atteignent un passant, lâchent difficilement leur proie.

On rencontre les premiers villages des Bakalais au milieu de ces enimbas, qu’ils exploitent et vendent aux Gabonais. C’est, avec le bois de santal et l’ébène, leur principal commerce. — Cette race est peu nombreuse. Avant-garde arrêtée dans sa marche, d’une grande tribu qui habite sur les bords de l’Ogo-Wai, elle rétrograde au jourd’hui sous la pression des Pahouins qui s’infiltrent au milieu d’elle. Ce n’est pas une perte. Les Bakalais qui semblent participer des Boulous par la laideur, paraissent avoir aussi leurs défauts. Ils ont les mêmes goûts nomades, et aussi peu de respect pour la propriété d’autrui ; mais ils sont plus industrieux, car ils fabriquent des tissus en fibres végétales d’une bonne confection, plus solides et plus durables assurément, et pourtant moins prisés, que la plupart des cotonnades européennes dont ils font leurs pagnes. — Ils ont aussi, plus que leurs voisins le sentiment de la musique, et font plusieurs instruments qui tiennent, les uns de la harpe, les autres de la guitare.

Ne quittons pas les forêts des Boulous et des Bakalais, sans mentionner les hôtes qui les habitent avec eux. Ces hôtes sont rares et le chasseur y trouve peu de ressources ; mais le naturaliste est moins à plaindre, surtout s’il veut se rabattre sur le monde des infiniment petits.

La meilleure aubaine qui puisse favoriser un chasseur, c’est la rencontre de quelque antilope. Il en existe cinq ou six espèces, depuis le gracieux animal qui atteint à peine la taille d’un lièvre, jusqu’au bango zébré de blanc, qui est aussi grand qu’un daim, et dont j’ai donné un beau spécimen à l’Exposition coloniale. C’est le tragelaphus albo-virgatus de du Chaillu, l’antilope zébrée de M. Gervais.

Sur les coteaux élevés du fond de la baie on rencontre quelquefois un buffle sauvage, le niaré, et plus rarement le sanglier à front blanc dont j’ai pourtant vu un individu à l’état domestique. Un museau verruqueux, des yeux entourés de longues soies, de longues oreilles terminées par des pinceaux de poils, donnent à cet animal une physionomie vraiment originale. Une sorte de Paresseux, le Perodicticus Poto, nommé dans le pays Ekanda, un grimpeur nocturne, le Youko, sont aussi très-curieux, mais difficiles à atteindre ; aussi sont-ils rares dans les collections de l’Europe. Le pangolin, la civette, le rat palmiste, le fourmilier, le daman, sont avec la panthère et diverses espèces de singes, les principaux représentants de l’ordre des mammifères. L’éléphant et le gorille, le plus grand des quadrumanes, ne se trouvent guère aujourd’hui que dans les forêts lointaines où vivent les Pahouins. — La panthère n’est pas non plus bien commune. D’après le témoignage de M. Vignon, elle suit quelquefois les gens qui traversent les forêts, rôde autour d’eux, mais les attaque rarement.

Les serpents sont plus dangereux. — Ils sont plus communs et tous très-venimeux, à l’exception du grand boa python, que sa taille suffit d’ailleurs à rendre redoutable. Ils viennent assez souvent rôder autour des cases pour y attraper quelque volaille et poursuivent même les rats jusque parmi les feuillets des toitures. Le plus remarquable est l’Echidna Gabonica, grosse vipère à courtes cornes et sans queue, qui atteint parfois deux mètres de longueur, et dont les écailles de couleurs variées forment de grands losanges d’une régularité singulière et vraiment élégante.

À côté de ces dangereux animaux, il n’est pas hors de propos de placer la fourmi, le fléau, la peste des pays chauds. Depuis la petite bête familière et presque microscopique dont une république tout entière se loge dans la fissure d’une table, jusqu’à la grosse fourmi rousse qui hante les forêts et se fait redouter des plus grands animaux, on en rencontre de vingt espèces différentes. — Les unes vivent au milieu de nous, habitent nos maisons, s’installent en maîtres à bord des navires et rendent quelques services en échange de leurs incessantes déprédations. Comme les chiens errants de Constantinople auxquels la police turque abandonne sagement le service de la voirie qu’elle ne ferait pas aussi bien, elles débarrassent de toute immondice la maison qu’elles ont adoptée.

Elles ne sont qu’incommodes. D’autres ont la serre plus cruelle. L’une des plus singulières est une grande espèce blonde, au corselet allongé, qui fait son nid sur les arbres. Elle rapproche à grands renforts de filaments les bouquets de feuilles qui terminent les branches, en forme des poches assez bien closes, et y établit sa couvée. Sur quelques arbres on compte ces nids par milliers. Rien n’égale la bravoure de leurs propriétaires ; à la moindre agression elles sortent à la hâte et sans hésiter font tête à l’ennemi.

Une autre est plus remarquable encore, c’est une grosse fourmi rousse que l’on voit souvent défiler dans l’herbe ou à travers les sentiers, marchant en colonne serrée, et suivant un ordre tout particulier. Une partie s’entasse sur deux rangées, les pattes si bien enchevêtrées les unes dans les autres, que du bout d’un bâton on en soulève de véritables pelotes ; elles forment ainsi deux longues murailles parallèles hautes de trois ou quatre centimètres et écartées d’autant. Entre ces deux murailles comme entre deux berges élevées coule une véritable rivière de fourmis emportant des provisions ou des larves qui proviennent peut-être du pillage d’une république ennemie. Au milieu des travailleuses circulent en tous sens des mâles à grosses têtes, libres de tout far-