Page:Le Tour du monde - 12.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que je viens de signaler à Crumlin de deux chemins de fer établis sur le même point l’un au-dessus de l’autre se retrouve en d’autres endroits de la Grande-Bretagne, à Bilston, par exemple, dans le Staffordshire, près de Birmingham, dans ce district qu’on a si bien appelé, à cause du travail des forges et des houillères, the black country, le pays noir. Comment après cela lutterions-nous avantageusement avec l’Angleterre pour la production économique du fer et de la houille ? L’Angleterre à qui la nature a tout donné, des gîtes nombreux et inépuisables, et un sol dont la surface est disposée de telle sorte qu’il se prête à tous les tracés, ceux des voies d’eau comme des voies de fer, souvent superposées, et sûres, après un très-faible parcours, de rejoindre soit un fleuve soit un port.

De Crumlin à Pontypool la locomotive nous porta pour ainsi dire en deux tours de roues. Nous descendîmes à lhôtel de la Couronne (the Crown), où l’on voulut bien nous servir un lunch (goûter), quoique l’heure réglementaire n’eût point encore sonné[1], et faire approcher une voiture pour nous conduire aux mines de charbon. Pontypool, malgré le voisinage des forges et des houillères, est entouré de riants cottages. Il y a près de la ville un joli parc, et les environs eux-mêmes sont très-frais, couronnés par des collines boisées.

Nous remontâmes le cours d’une gracieuse vallée, celle de l’Afon, et nous nous rendîmes à la mine de charbon de Glyn pit. (Pit en anglais veut dire puits de mine.) Comme à la houillère de Merthyr, le charbon, le minerai de fer et le calcaire se rencontrent ensemble dans le même gîte. Les abords de la mine sont adossés à un coteau planté de chênes, et les deux cheminées des machines, les charpentes des puits couronnées de leurs énormes poulies de fonte, les balanciers sortant par les larges fenêtres des bâtiments, puis à côté un chemin de fer où roulent les wagons chargés de houille, tout cela donne à l’ensemble du paysage un aspect caractéristique, industriel, qui a aussi son côté artistique.

Nous rencontrâmes une escouade d’ouvriers quittant les travaux. Ils portaient la chandelle au chapeau comme les mineurs du Cornouailles, et l’on devinait à leur figure noircie, à leurs vêtements couverts de boue, de quels antres ils sortaient. Au milieu de la foule des hommes on distinguait quelques femmes et des gamins. Tout ce monde travaillait dans les ateliers souterrains : ni les enfants, ni la plus belle moitié de l’espèce humaine ne trouvent grâce devant les Anglais. Des moralistes, des économistes se sont bien élevés contre les dangers de cette promiscuité des sexes, plus immorale, plus dangereuse encore dans les travaux souterrains que dans ceux qui ont lieu au jour ; mais jusqu’ici ces publicistes ont presque crié dans le désert. Il est très-difficile en Angleterre de faire adopter des réformes sociales, par suite du respect, peut-être exagéré, que l’on a pour les anciennes habitudes et pour la liberté individuelle, pour le self, comme on dit là-bas. « Si les femmes, les filles, les garçons, travaillent dans les mines, vous répondent les partisans déclarés de l’initiative personnelle, c’est que tel est leur bon plaisir, et l’État n’a rien à y voir. » Reconnaissons toutefois que depuis quelques années diverses mesures ont été prises dans le Royaume-Uni par l’État lui-même : des inspecteurs des mines et des manufactures ont été nommés par la couronne, et les enfants ne peuvent plus travailler dans les ateliers souterrains comme dans ceux de la surface, qu’à partir d’un certain âge.


Pauvrettes, à Merthyr Tydvil. — Dessin de Durand-Brager.

Dans le groupe des mineurs sortant de Glyn-pit une femme et un jeune garçon attirèrent surtout nos regards. La femme nous frappa par son type gracieux, je dirais presque élégant, et qu’on n’était guère en droit d’attendre d’une ouvrière des mines ; ses beaux cheveux nattés encadraient coquettement sa figure, à laquelle un chapeau de paille à bords rabattus sur le front et de forme quelque peu calabraise semblait prêter un charme de plus. Une longue blouse serrée à la ceinture et à col rabattu tombant autour du cou comme celui d’une chemise garibaldienne, enfin une paire de pantalons rappelant

  1. En Angleterre, où l’on fait tout avec poids et mesure, il y a des heures pour tout. À telle heure on prend le thé, à telle autre on lunche. Malheur au profane qui ne sait pas attendre ces heures, et qui, pour une cause quelconque, intervertit le règlement tacitement admis par tous.